[Forfait jours] Les cadres sont-ils réellement autonomes ? Focus sur les cadres sanitaires et sociaux
Particularité française, née dans le giron des 35 heures, le système du « forfait jours » déborde très largement sa cible initiale des cadres autonomes et n’évite pas les dérives. D’autant plus que cette forme de régulation du temps professionnel n’est jamais simple, surtout quand la charge de travail s’alourdit.
Système de décompte annuel du temps de travail en jours destiné à l’origine à des cadres autonomes dans leur organisation, le forfait jours apparu en France en 2000 est indissociable de la réduction du temps de travail instaurée par les lois Aubry.
Pour la CFDT, c’était un moyen de sortir de l’hypocrisie : les cadres ne comptant généralement pas leurs heures, il fallait trouver un système qui offre une compensation en journées de Réduction du temps de travail (RTT). Et les cadres ont plutôt plébiscité cette mesure.
Cette modalité de réduction du temps de travail s’appuyait sur la conviction de nombreux cadres que la prise de congés supplémentaires était la seule façon d’échapper à une durée et à un rythme de travail de plus en plus envahissants et sur leur espoir d’une plus grande liberté dans l’organisation de leur travail et de leurs loisirs.
Que prévoyait le dispositif dans la Fonction publique hospitalière (FPH) ?
Deux dispositions intéressent particulière-ment les cadres. D’une part, ceux-ci peuvent choisir, chaque année, entre un régime de décompte journalier ou un régime de décompte horaire formalisé par un écrit du cadre. Dans le premier cas, ils bénéficient de vingt jours de réduction du temps de travail et dans le second, le calcul du nombre de jours supplémentaires de repos leur est appliqué.
Quid du forfait en tant que régime appli-cable aux cadres ?
Ce régime de travail des personnels chargés soit de fonctions d’encadrement ou de conception lorsqu’ils bénéficient d’une large autonomie dans l’organisa-tion de leur travail ou sont soumis à de fréquents déplacements de longue durée, a fait l’objet de dispositions spécifiques adaptées à la nature et à l’organisation du service ainsi qu’au contenu des missions de ces personnels. Ce régime dit au forfait, dans la mesure où le décompte horaire du temps de travail de ces personnels est inadapté, se traduit par l’attribution de façon forfaitaire d’une compensation sous forme de jours supplémentaires de RTT.
Un arrêté du 24 avril 2002 liste limitati-vement les personnels des corps et des grades de la Fonction publique hospita-lière exerçant des fonctions d’encadre-ment, citant notamment les infirmiers cadres de santé, les cadres socio-éduca-tifs, les attachés d’administration et les ingénieurs.
D’autre part, lorsque les besoins du service l’exigent, le chef d’établissement peut demander aux agents et aux cadres d’effectuer des heures supplémentaires au-delà des limites prévues dans le cycle de travail. Un plafond de 180 heures par an et par agent est fixé; il peut toutefois être porté à 220 heures pour certaines catégories dont les cadres de santé, les sages-femmes cadres et les personnels d’encadrement technique et ouvrier.
Les dérives constatées
Les cadres sont ceux dont la durée du temps de travail augmente le plus
(+5,8% selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques DARES) et que cette augmentation est surtout à imputer aux cadres bénéficiant du forfait jours !
Pour exemple : des cadres pouvant travailler jusqu’à 55 heures par semaine (avec des « gardes » le week-end en plus), avec des objectifs horaires tout en étant autonome dans la gestion de leur temps ! Des missions et objectifs qui peuvent être prescrits sans tenir compte de la charge de travail ! Une réalisation du travail sans tenir compte du temps nécessaire à sa réalisation…
Pour les employeurs, l’absence de référence horaire dans le forfait jour est un outil efficace pour accroître le nombre d’heures travaillées non rémunérées et la seule et unique obligation à laquelle il est tenu pour les cadres au forfait jours, c’est de leur octroyer un repos quotidien et hebdomadaire.
Hélas pour les cadres de santé, l’arrêt de la cour de cassation du 29 juin 2001 n’est pas opposable dans la FPH !Effectivement, le Comité Européen des Droits Sociaux, chargé de statuer sur la conformité de la législation des états avec la charte sociale européenne, a épinglé la France au sujet des forfaits jours. Le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) a logiquement jugé que le système des forfaits jours à la française pouvait aboutir à une durée du travail « manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable » incitant la France à mieux encadrer ces forfaits au regard de la durée maximale du travail.
Vous avez dit « autonome » !
Notion pour le moins ambiguë, l’autonomie est le droit pour la personne de déterminer librement les règles auxquelles elle se soumet. L’autonomie est limitée de fait et en droit par la situation statutaire et réglementaire du fonctionnaire. Elle l’est aussi par l’organisation du travail, les processus de production, les fonctions exercées et les objectifs assignés. En règle générale, l’autonomie des agents est proportionnelle à leur niveau hiérarchique et définit le degré de liberté de l’emploi dans la chaîne décisionnelle ainsi que la nature des contrôles exercés.
Il se trouve que le terme d’autonomie a été galvaudé par nombre de décideurs. Il a permis d’éluder le débat sur l’organisation du travail ainsi que sur la responsabilité de l’employeur sur les moyens accordés et qui de fait renforce le lien de subordination.
Or, l’autonomie est requise lorsqu’elle désigne les marges de manœuvre octroyées ou les degrés de liberté dont dispose le cadre à son poste de travail. L’autonomie exercée dépend donc de la coopération avec les autres et c’est aussi un contrat, car elle ne peut pas s’exercer sans réciprocité, ni sans volonté commune de la reconnaître : l’autonomie suppose d’accepter ce principe, d’agir selon lui et de s’y soumettre.
Toutes nos enquêtes et travaux de proximité nous permettent de constater combien les réalités sont contrastées, souvent complexes et ne peuvent être enfermées dans des prismes réducteurs de la complexité des univers dans lesquels se trouvent les cadres de santé. Nous ne pouvons pas faire l’économie de constater le manque d’appui et des ressources mises à disposition des cadres pour grandir en autonomie. Cela pose clairement la question de savoir « où sont les appuis ? » et « qui sont les appuis ? ». L’autonomie ne se décrète pas et quand le droit du travail stipule que le forfait jours s’applique aux agents « dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui leur sont confiées », la question reste ouverte.
Pour beaucoup de cadres, le lien de subordination s’estompe, voire disparaît au profit d’une simple demande de résultats et c’est une exigence d’implication totale qui lui est substituée.
La CFDT a toujours dénoncé les abus inhérents au forfait jours qui, loin de l’esprit du texte, permet de flexibiliser toujours plus les cadres.
Pour aller plus loin
Site de la fédération CFDT Santé-Sociaux
Forfait jours: une modernisation qui fait craindre le recours au "travail gratuit"