"Non Madame la ministre, le télétravail à 100% n'est pas forcément souhaitable [..] !"
Derrière la vague épidémique, la détresse psychologique : la CFDT Cadres alerte.
"Non Madame la ministre, le télétravail à 100% n'est pas forcément souhaitable au regard des situations individuelles !"
par Jérôme Chemin, secrétaire général adjoint de la CFDT Cadres
L’évolution de la crise sanitaire a conduit le gouvernement à durcir le ton sur la mise en télétravail de salariés pour qui cette organisation était possible. Elisabeth Borne, ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, a déclaré à plusieurs reprises que le gouvernement serait prêt à sanctionner les entreprises qui ne jouent pas le jeu. Mais de quelles sanctions s’agit-il ? Rappelons en effet qu’aucun texte de loi ne peut contraindre une entreprise à mettre ses salariés en télétravail. À l’inverse, l’employeur peut l’imposer par le biais de l'article L1222-11 : « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés. »
Alors quelle sanction pourrait être envisagée ? L’article L4121-1 indique que « l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. […] ». En cas de non-respect de cette obligation, sa responsabilité peut être engagée et les suites données lourdes de conséquences (pouvant aller jusqu’au pénal).
Mais arrêtons-nous un instant sur la situation actuelle d’autres travailleurs : ceux qui sont contraints de faire du télétravail à 100%, 5 jours sur 5 comme le demande la ministre. Beaucoup de médecins ont poussé ces derniers jours un véritable cri d’alarme sur la détresse psychologique de nombreux télétravailleurs qui sont, pour certains, en distanciel depuis le mois de mars 2020.
Que se passerait-il si, en pleine détresse, le salarié mettait fin à ses jours ? La responsabilité de l’employeur serait très certainement engagée sur un fait bien plus grave que celui d’avoir contracté une maladie sur son lieu de travail."
De nombreux salariés en détresse psychologique ont demandé à leur employeur de revenir - ne serait-ce qu’un jour par semaine - en présentiel. Ils ont pour la plupart essuyé un refus. On pourrait dès lors argumenter que l’employeur n’a pas pris toutes les dispositions telles qu’énoncées dans l’article L4121-1 pour garantir la santé et la sécurité de la personne au travail : les cellules d’écoute et autres propositions ne sont souvent guère suffisantes pour un salarié seul 7 jours sur 7 et contraint de travailler à distance 8 à 10 heures par jour. Et si les managers de proximité essayent ici ou là de rompre l’isolement dont sont victimes certains membres de leurs équipes, les outils mis à leur disposition s’avèrent bien souvent insuffisants face à la situation.
Que se passerait-il si, en pleine détresse, le salarié mettait fin à ses jours ? La responsabilité de l’employeur serait très certainement engagée sur un fait bien plus grave que celui d’avoir contracté une maladie sur son lieu de travail.
Sans remettre en cause les mesures prises pour assurer la sécurité sanitaire des personnes, on voit bien que la situation n’est pas simple : d’un côté des personnes demandent à télétravailler, de l’autre des personnes souhaitent revenir partiellement sur site. Les solutions apportées ne peuvent être décrétées de manière catégorique, générale et définitive : tout n’est pas noir ou blanc, mais bien gris comme l’est souvent aussi le télétravail.
Il faut très rapidement remettre en avant la concertation sociale et le dialogue professionnel pour fixer les grandes lignes d’encadrement des situations de travail à domicile en circonstances exceptionnelles et permettre de prendre des décisions adaptées à chaque situation. Permettre aux uns et aux autres de travailler dans les meilleures conditions tout en prenant soin de leur santé et leur sécurité.
L’escalier social se balaie par le haut : tel est le but de la négociation interprofessionnelle.
Affirmer, comme le font certains, que le présentiel doit être privilégié, ou par d’autres que le télétravail à 100% devient la norme impérative, n’apporte rien si ce n’est nourrir chez les salariés concernés un sentiment de rancœur envers ceux qui semblent souvent si loin de leurs préoccupations.
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