Les « cadres âgés ». Histoire d’une catégorie de chômeurs
Nathalie Hugot-Piron interroge une dénomination qui donne vie à une figure fictive représentant l’icône de la réussite.
La crise actuelle des « cadres seniors » ne serait pas seulement le résultat d’un dysfonctionnement économique du marché du travail ou d’un processus excluant les cadres dès l’âge de 45 ans. « Comme si une machine sociale infernale se mettait en marche dans le but d’exclure à partir de 45 ans. Comme si, pouvait surgir à cette date d’anniversaire un risque éminent, un danger potentiel de marginalisation dont les cadres accablés seraient les témoins uniques » explique Nathalie Hugot-Piron, qui cherche à déconstruire « un processus de légitimation », une rhétorique professionnelle devenue une arme de défense catégorielle. L’expression actuelle des « cadres de plus de 45 ans » n’est pas une simple formule commode pour désigner un phénomène conjoncturel. Au contraire, elle constitue un objet sociologique extrêmement complexe, l’épiphénomène d’une longue mobilisation syndicale dont les origines remontent au XIXe siècle. « L’histoire de ce passé n’est plus très apparente ; elle s’est peu à peu effacée et ne se manifeste plus guère qu’à travers l’émotion contenue dans la formule contemporaine ». L’enjeu de cette thèse socio-historique est de faire resurgir le passé d’un groupe professionnel à travers sa mémoire collective pour mieux en comprendre son présent. Afin de démontrer que les « cadres de plus de 45 ans » (ou les « cadres seniors ») n’existent pas, ou plutôt ils n’existent qu’à travers les représentations qui leur sont attribuées. Le résultat d’une construction sociale élaborée par le groupe des ingénieurs et cadres afin d’organiser la cohérence et l’unicité d’un univers professionnel. Cette dénomination ne décrit donc pas une réalité empirique, mais rend compte d’un rapport à la réalité qui a donné vie à une figure fictive représentant l’icône de la réussite, l’archétype de la maturité professionnelle…