Le pouvoir grandissant des normes
Il y a tant à dire sur les pratiques d'évaluation. Les outils imposent une représentation dans laquelle personne ne se retrouve.
Les agences de notation financière qui évaluent les firmes et les Etats sont devenus des acteurs clés du fonctionnement des marchés financiers. Les pouvoirs publics n’envisagent plus de lancer une action sans en évaluer les effets, de façon prospective mais aussi dans le cours même de l’action.
Mais il ne faudrait pas croire que la montée en puissance des logiques d’évaluation aboutisse nécessairement à une représentation objective, sur laquelle tous s’accorderaient. Car dès lors qu’il s’agit de faire de la représentation un ressort de l’action, le point de vue compte. C’est la vieille histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide : l’interprétation des résultats, mais aussi la construction des outils qui permettent de produire ces résultats ne sont pas de simples activités techniques, elles engagent des points de vue, des intérêts, des stratégies.
Faut-il alors adopter une posture de méfiance, voire de défiance ? Bien au contraire : il faut prendre acte de cette logique et se l’approprier. Cela suppose dans un premier temps de participer à la construction ou au choix des outils, et de veiller à ce que ceux-ci ne soient pas subordonnés à un seul point de vue. Cela nécessite dans un deuxième temps d’apprendre à les utiliser, afin de ne pas se laisser dicter une représentation qui se donnerait comme objective. La culture de l’évaluation est en passe de s’imposer durablement : rien ne serait plus dangereux que de la subir faute d’en comprendre les ressorts et les dérives.
C’est aussi une question de logique : pour nous, syndicalistes, qui défendons l’idée d’un monde mieux régulé, évaluation et notation ne sont-elles pas les voies d’avenir de cette régulation ? De la même façon qu’il est essentiel de participer à la production de ces normes et de ne pas les laisser se construire sans nous, il est essentiel de participer à la production et de maîtriser l’utilisation des outils et des méthodes qui imposent aujourd’hui leur représentations du réel, de la plus petite entreprise aux enjeux globaux.
La financiarisation du monde n’est pas une fatalité à déplorer, mais une logique que l’on peut décortiquer et sur laquelle il est possible de reprendre la main. L’idéal d’émancipation qui fut depuis les origines l’horizon du mouvement syndical trouve ici un renouveau : plutôt que de subir une volonté déguisée en savoir, emparons-nous de ce savoir et faisons-le nôtre.
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