Responsabilité et expression

[Enquête] Les ingénieurs face à la crise écologique

19 déc 2022

Penchons-nous sur la position des ingénieurs dans la transition écologique : la CFDT Cadres propose de répondre au questionnaire de deux chercheurs, lequel fera l'objet d'une analyse ultérieure.


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Les ingénieurs français ont récemment retenu l’attention médiatique à l’occasion des discours tenus lors des cérémonies de remise des diplômes du printemps 2022, notamment à l’École Polytechnique et à AgroParisTech.

Ce questionnaire anonymisé vise à mieux comprendre la perception réelle des enjeux écologiques par les ingénieurs, élèves et diplômés. Cette étude est menée par deux chercheurs en sciences sociales :

  • Hadrien COUTANT, maître de conférences en sociologie à l'Université de technologie de Compiègne (UTC), membre du laboratoire Costech, chercheur associé à Sciences Po,
  • Antoine BOUZIN, doctorant en sociologie au Centre Émile Durkheim de l'Université de Bordeaux et ingénieur diplômé de l’ENSEEIHT.

Ce questionnaire porte l’ambition d’établir simultanément des données statistiques et des connaissances scientifiques sur le monde professionnel des ingénieurs et leur perception des questions écologiques.

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« Nous ne voyons pas les ravages écologiques et sociaux comme des "enjeux" ou des "défis" auxquels nous devrions trouver des "solutions" en tant qu’ingénieur.es […] Nous ne voyons pas les sciences et les techniques comme neutres et apolitiques. Nous pensons que l’innovation technologique et les start-up ne sauveront rien d’autre que le capitalisme. Nous ne croyons ni au développement durable, ni à la croissance verte, ni à la "transition écologique", une expression qui sous-entend que la société pourra devenir soutenable sans qu’on se débarrasse de l’ordre social dominant. » 

Extrait du discours tenu par les élèves fondateurs du collectif « Des agros qui bifurquent » lors de la cérémonie de remise des diplômes d’AgroParisTech le 30 avril 2022.

'engagement écologique des ingénieurs

L’engagement des ingénieurs français au service de la cause écologique, cette attention spécifique portée aux conséquences environnementales des activités humaines, que cette intervention d’élèves ingénieurs exprime de manière radicale, apparaît aujourd’hui comme un phénomène en pleine expansion. Différents indicateurs permettent d’évaluer l’amplification de cet engagement. On observe en premier lieu une forte croissance des structures militantes consacrées aux questions écologiques et (co)fondées, ou majoritairement investies, par des ingénieurs. Outre les associations Ingénieurs sans frontières et Avenir Climatique créées respectivement en 1982 et 2007, de nombreuses structures ont émergé de façon concomitante à la fin des années 2010 à l’initiative d’ingénieurs encore élèves ou tout juste diplômés : Ingénieur·es Engagé·es en 2017, Together for Earth et Pour un réveil écologique en 2018 ou encore La Bascule en 2019. On pourrait également ajouter à cette liste non exhaustive l’association Les Shifters fondée en 2014 pour « apporter un soutien bénévole au centre de réflexion The Shift Project qui œuvre à la décarbonation de l'économie » (voir theshifters.org) , en précisant que le think tank a également été cofondé par un ingénieur : Jean-Marc Jancovici.

Les actions collectives menées dans l’engagement écologique constituent un second indicateur. En effet, les ingénieurs sensibilisés à la cause ont longtemps borné leurs actions à la diffusion d’informations scientifiques, en particulier sur le changement climatique, à travers des animations ludiques, des ateliers de vulgarisation des rapports du GIEC ou encore la projection de documentaires. On remarque néanmoins la diversification des actions entreprises par les ingénieurs : participation aux marches pour le climat et à des actions de désobéissance civile, tribunes politiques lors des cérémonies de remise des diplômes, revendication pour « écologiser et humaniser » les enseignements en école d’ingénieurs*, organisation de Fresque du climat en entreprise ou encore mise en œuvre de stratégie de bifurcation professionnelle.

*Ces revendications visent à l’introduction dans les formations d’ingénieurs d’une part des cours sur les conséquences environnementales des sciences et techniques et d’autre part des enseignements en sciences humaines et sociales, notamment en sociologie, histoire et philosophie.
Une réflexivité vis-à-vis du travail et de la politique

La mobilisation de ces ingénieurs s’accompagne fréquemment d’un grand nombre de questionnements et de doutes associés à cette défense des problèmes écologiques. Quels sont les rapports de causalité pertinents pour comprendre et expliquer le changement climatique et la dégradation de la biodiversité ? Quelle responsabilité et quel rôle peut-on attribuer à l’État, aux acteurs économiques, aux corps intermédiaires et aux comportements individuels à l’égard de ces enjeux cruciaux ? Quelle place peut ou doit prendre le métier d’ingénieur à l’aune de ces transformations majeures et, pour la plupart, irréversibles ? Faut-il plus d’innovation ou moins d’innovation pour répondre aux enjeux écologiques ?

L’engagement écologique peut ainsi conduire les ingénieurs concernés à développer des formes de réflexivité sur des sujets restés souvent impensés ou jugés jusqu’alors incongrus. Le métier d’ingénieur lui-même suscite par exemple de nombreuses interrogations, notamment sur la nature de ses pratiques au travail, son utilité sociale et économique, ses conséquences sur la nature et le reste de la société, ses dispositions à d’adapter aux crises environnementales et géopolitiques, ou encore sa capacité à agir dans ses activités professionnelles en entreprise, dans la fonction publique ou dans le milieu associatif. Le rapport au politique semble également évoluer au cours de l’engagement écologique. En effet, si différentes études scientifiques internationales convergent vers le constat de l’expression d’un très faible intérêt des ingénieurs à l’égard des questions politiques comparativement aux professions de diplôme équivalent, on observe chez les ingénieurs mobilisés une appropriation du politique, de manières diverses. Cet intérêt nouveau pour la chose politique est objectivable à la fois dans la mise en langage de la cause écologique, dans des évolutions de leur vote et dans les actions collectives qu'ils entreprennent.

Cette réflexivité émergente sur les rapports entretenus vis-à-vis des activités professionnelles et des enjeux politiques doit être mise en perspective avec le caractère paradoxal a priori de cet engagement écologique. En effet, la maîtrise de la matière, sa transformation au service des besoins humains, constitue l’un des fondements essentiels des métiers de l’ingénierie qui se professionnalisent au cours du XIXe siècle. Les ingénieurs sont la profession par excellence de l’industrialisation. Or c’est précisément ce fondement qui apparaissait résolument contesté par les mouvements écologistes dénonçant dans les années 1960 et 1970 l’hubris prométhéen de ces mêmes ingénieurs.

Une enquête sociologique

La mise en œuvre d’actions écologiques fortement médiatisées, l’incursion dans des mouvements intrinsèquement politiques, l’expression d’interrogations sur la nature des activités professionnelles : les mondes de l’ingénierie en France traversent aujourd’hui de nombreux bouleversements qui ne manquent pas d’interpeller et appellent à la mise en œuvre d’enquêtes en sciences humaines et sociales afin de mieux comprendre et d’interpréter ces phénomènes. Les spécificités des ingénieurs incitent à étudier les ressorts et les modalités de l’engagement écologique de certains, ou, à l’inverse, de la distance critique ou le rejet que d’autres peuvent entretenir vis-à-vis de l’écologie et de sa politisation. Là où les médias écrasent souvent leurs spécificités dans une explications générationnelle (la « génération climat ») ou d’un air du temps, nous faisons l’hypothèse que les ingénieurs ont une manière spécifique de s’intéresser – ou non – aux questions environnementales et d’y répondre.

L’intérêt soutenu à l’égard de l’engagement écologique des ingénieurs et de ses conséquences sur les plans professionnel et politique a ainsi conduit deux chercheurs en sociologie à élaborer un questionnaire en ligne afin de mieux connaître les mondes de l’ingénierie aujourd’hui en France. Hadrien Coutant est maître de conférences en sociologie à l'Université de technologie de Compiègne (UTC), membre du laboratoire Costech, et chercheur associé à Sciences Po, tandis qu’Antoine Bouzin est doctorant en sociologie au Centre Émile Durkheim de l'Université de Bordeaux et lui-même ingénieur diplômé de l’ENSEEIHT. Leur recherche est intégralement financée par leurs universités respectives.

Ce questionnaire anonyme et confidentiel s’adresse à l’ensemble des ingénieurs, élèves et diplômés, de tout âge et activité, toute opinion et sensibilité confondues vis-à-vis de leur métier, du politique et de l’écologie. Il ne s’adresse pas spécifiquement à des ingénieurs qui se considèreraient comme « écolo » mais vise bien au contraire à saisir la diversité des sensibilités au sein de la profession. Cette enquête vise à produire des connaissances scientifiques sur une profession relativement peu explorée par les sciences sociales francophones afin d’en éclairer les éventuelles transformations et hétérogénéités contemporaines. Il est à visée purement scientifique et sera valorisé sous la forme de productions scientifiques (articles, communications dans des colloques, ouvrages). 

La CFDT Cadres se fera l’écho sous différentes formes des résultats de cette enquête.

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Les ingénieurs face à la crise écologique : une enquête

Disclaimer : ce questionnaire vise à agréger des données comparables, ce qui explique le fait qu’il reprenne parfois des questions existantes dans des enquêtes plus vastes destinées à l’ensemble de la population. Par ailleurs, il implique dans certains cas de répondre de manière tranchée à des questions que nous savons complexes, mais obliger la personne à se positionner et à faire des choix, même dans des alternatives insatisfaisantes, permet d’avoir des données interprétables, quantifiables et comparables et d’observer des tendances. Notre recherche complète ce questionnaire avec des entretiens qualitatifs plus fouillés et très ouverts.