IA génératives : Donner aux acteurs les clés du contrepouvoir
La CFDT Cadres multiplie ses implications pour l'organisation d'un dialogue social et professionnel face aux transformations rapides profondes liées à l'intelligence artificielle (source image : chatbotgpt.fr).
par Franca Salis-Madinier, secrétaire nationale CFDT Cadres
Il y a tout juste un an, la sortie de ChatGPT - application lancée par Open AI, société américaine financé à coup de milliards par Microsoft -, a changé la relation avec les technologies et les outils d'intelligence artificielle. Désormais accessible directement au grand public, il y avait dans le monde plus de 100 millions d’utilisateurs quelques semaines à peine après son lancement. Aujourd’hui, beaucoup de cadres (notamment) l’utilisent parfois en accord avec les directions, mais souvent en « cachette ».
La CFDT et la CFDT Cadres s’intéressent depuis des années à cette technologie :
- Comité national CFDT Cadres 2018 « L’intelligence artificielle : même pas peur ? »
- Plaquette « Intelligence artificielle : l'Humain aux commandes »
- Un guide juridique pour une IA de confiance dans notre environnement professionnel
Cette transformation aura des impacts sur tous les secteurs d’activité et sur les métiers, sur les tâches, les conditions et l’organisation du travail. Elle touche les professions qualifiées et celles moins qualifiées. Les cadres sont concernés à double titre : en tant que managers car ils gèrent ces transitions ; en tant que travailleurs car ils profitent des opportunités des usages des IA, mais peuvent en subir les risques.
Une étude récente de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur l’impact de l’IA générative qui présentée lors d’un webinaire le 12 décembre conclut que l’emploi global augmenterait et que, dans le même temps, les inégalités seraient croissantes. Dans les pays à revenus élevés, les métiers de bureau et de services occupés essentiellement par des femmes seraient plus que doublement impactés que ceux des hommes, avec un taux d’automatisation potentiel de 8,5% contre 3,2%.
Par ailleurs, selon cette étude, 5,5% de l’emploi total dans ces pays est fortement exposé au remplacement par l’IA générative. Les métiers qualifiés des consultants, les métiers du secteur juridique, la recherche académique, les métiers de la création, de la presse, les médecins, les acteurs, les scénaristes, sont exposés au progrès de l’IA.
- Webinaire OIT du 12 décembre
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[Webinaire OIT du 12 décembre 2023, 14h30 – 16h30] IA générative et emploi : une analyse globale des effets potentiels sur la quantité et la qualité de l'emploi
Programme :
- Mots de bienvenue par Cyril Cosme, Directeur du Bureau de l’OIT pour la France
- Présentation de l’étude de l’OIT, Paweł Gmyrek du département recherche de l’OIT, coauteur
- Discutants : Pierre Blanc, Directeur général d'Athling, Odile Chagny, Chercheure Economiste, Animatrice du réseau Sharers & Workers, Franca Salis-Madinier, Secrétaire nationale de la CFDT Cadres en charge de l’Europe, du numérique, de l’Intelligence artificielle et de la protection des lanceurs d’alerte.
- Echanges avec les participants
- https://ilo-org.zoom.us/j/97989705108 [Meeting ID: 979 8970 5108 | Passcode: 941824]
Pour la CFDT Cadres, sans pour autant diaboliser une technologie et des usages qui offrent des opportunités, il faut organiser un dialogue social et professionnel sur ces transformations profondes.
Pour bien anticiper, il est nécessaire de :
- Créer une cartographie des impacts sur les métiers et les emplois,
- Mettre en place des expérimentations de cas d’usages par une démarche itérative qui implique les travailleurs,
- Former les travailleurs pour les doter de compétences en lien avec ces évolutions de métier.
Ce sont les conditions essentielles pour ne laisser personne sur le bord de la route, et pour introduire des outils de confiance qui répondent au besoin de l’activité réelle dans les organisations de travail.
Parce que la CFDT Cadres n’a pas une approche techno déterministe mais une approche centrée sur l'humain, il faut rendre opérationnel le dialogue social technologique, seul à même de créer un contrepouvoir qui interroge les finalités et la nature même des outils introduits. Aujourd’hui, ce dialogue n’a pas lieu, avec trois raisons à cela :
- Le sujet de l’IA est présenté comme essentiellement technique ou perçu comme difficilement abordable,
- Les acteurs du dialogue social sont insuffisamment informés et formés aux enjeux et aux outils,
- Les directions sont réticentes à discuter de ces transformations en amont car elles considèrent que ces choix technologiques et stratégiques relèvent exclusivement de leurs prérogatives.
C’est pour dépasser ce constat que la CFDT, avec une vingtaine de militants issus des secteurs professionnels et des territoires, avec la CGT, FO, COM et la CFE CGC, participe pleinement au projet Dial-IA piloté par l’IRES et dont l’objectif est de créer les bases pour que ce dialogue puisse avoir lieu. Les premiers livrables seront proposés en 2024.
Nous sommes sollicités par de plus en plus de collectifs de militants, à animer des débats sur l’IA et le numérique, ce qui démontre l'intérêt pour nos adhérents et militants de s'approprier le sujet et ses enjeux. Ci-après, quelques témoignages lors de notre intervention le 9 novembre à la sollicitation du syndicat S3C Loire-Atlantique/Vendée :
- AG S3C Loire-Atlantique/Vendée
-
Un sujet très intéressant et riche, aussi bien sur la présentation que sur les débats qui ont suivis. Mais pas très rassurant sur les possibilités de dérives possibles. Il y a un risque de perte d’adaptabilité indispensable à la gestion des aléas du monde du travail, aussi bien sur l’organisationnel que sur la gestion des personnes. »
(Militants La Poste)
« Très intéressant, très fluide. cela permettra d’avoir un regard plus vigilant sur le sujet pour l’avenir et cela permet d’être éveillé sur le sujet. Il est Très appréciable de savoir que la CFDT traite ce sujet et à de quoi avoir du répondant de qualité. Cela permet aussi de savoir que l’on peut avoir des ressources internes s’il faut avoir à traiter ce sujet. »
(Militant Infotel)
« Je suis le sujet dans l’actualité et je suis content d’avoir eu en direct le témoignage d’une personne qui réfléchit et agit sur le sujet au niveau européen. Son intervention éclaire bien le fait qu’une action coordonnée au niveau européen est indispensable. Je vais suivre l’actualité de l’AIACT avec attention. »
(Militant DSIA)
« Cet échange a été utile, il a réactivé une vigilance sur une veille des différents outils qu’on pourrait utiliser en interne CGI. Quelques remarques cependant sur 3 points :
Le caractère fallacieux du mot « intelligence » qui désigne en anglais « renseignement » au sens de l’espionnage (comme dans l’intelligence économique) aurait pu être davantage développé, ça change le paradigme et permet de remettre à sa juste place cette technique.
Une certaine naïveté me semble-t-il quant à la capacité des CSE et des organisations syndicales à obtenir des informations loyales de la part de nos employeurs dès qu’il s’agit de sujets sensibles.
Une autre naïveté : la décision restant à l’humain suffirait à se prémunir du risque de déshumanisation ; encore faut-il que la compétence reste active et que les critères qui ont présidé au résultat de la machine soient explicites, connaissant les rapports de force mis en œuvre dans les entreprise privées à but lucratif je crois que le calcul de rentabilité sera vite fait et que l’humain risque de se retrouver rapidement réduit au rôle de presse bouton. »
(Militant CGI)
J'ai en tête ce témoignage de plannings effectués intégralement à l'aide d'une IA, qui ne respectait pas les accords d'entreprise, et cette réponse de l'employeur à l'objection exprimée par les représentants du personnel : "c'est une IA, donc c'est plus intelligemment fait que si on l'avait fait à la main..
Sans amoindrir la puissance des outils qui l'utilisent ni les enjeux qu'ils adressent, souvenons-nous que de même qu'un marteau enfonce bien mieux un clou que nos mains, l'IA peut nous aider à réaliser certaines tâches … mais à condition qu'elles n'empiètent pas sur notre capacité à exercer la pleine maîtrise de notre raisonnement.
Au final, je crains que la méconnaissance de cette technique et une insuffisante culture générale démocratique et politique ne nous fasse utiliser au moins pour un temps cette technique n'importe comment, y compris en France … d'où l'utilité de la vulgariser et d'en discuter. »
+ d'infos
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