Que devient le monde du travail ? : Quarante ans d’expertise en Europe
'What about the Workers? Forty years of labour consultancy in Europe' : la CFDT Cadres propose une analyse de la dernière publication du EESUN (European Employee Support Network).
par Ute Meyenberg, secrétaire nationale CFDT Cadres
Que devient le monde du travail ?
Quarante ans d’expertise au plus près de l’action dans 5 pays européens
Une référence ! Ce livre de 312 pages (à télécharger sur arete.fr) retrace les changements des relations de travail et du contexte économique et social sur les quarante dernières années, et met en exergue les interactions entre évolutions économiques, technologiques et démographiques agissant sur le travail. Publié par une équipe européenne de cinq instituts de recherche et conseil, membres fondateurs du réseau européen EESUN (European Employee Support Network) de cinq pays européens : Allemagne (BIT), France (ARETE), Grande-Bretagne (Turu Ruskin College), Pays Bas (STZ) et Suède (ATK), il analyse les changements organisationnels intervenus au sein des entreprises privées et publiques et le rôle régulateur du dialogue social.
S’appuyant sur des exemples de cas concrets, le livre décrit les transformations constantes du monde du travail qui sont le résultat de changements de technologie (l’introduction des ordinateurs dans les années 80, la prise de conscience de l’importance de l’intelligence artificielle ces dernières années), d’évolutions du droit du travail et de la place des syndicats, de restructurations industrielles et de crises économiques, la dernière datant de 2007-2009. Il retrace les évolutions démographiques comme le vieillissement de la population, qui induit des besoins de formation pour s’adapter aux changements du travail ainsi que les risques psychosociaux, le stress au travail et les conséquences sur la santé au travail. Finalement, écrit juste avant la mise en impression, un dernier chapitre prend en compte les premières analyses des conséquences dues à la crise du Covid-19.
Les trois premiers chapitres analysent les sous-jacents économiques et industriels qui induisent les changements du monde du travail et isolent cinq facteurs déterminants :
- L’intensification de la compétition internationale menée par les entreprises multinationales qui, désormais, contrôlent les échanges à travers des chaines de valeur et ont pris la place des Etats dans la régulation du commerce. Cette compétition internationale exerce une forte pression sur les salaires. Malgré les déclarations de l’Union européenne en faveur de standards basés sur une croissance durable, la part des salaires dans la valeur ajoutée a baissée de façon continue depuis les années 1980 du fait de la financiarisation de l’économie qui privilégie la valeur boursière et la distribution de dividendes.
- La standardisation des process, l’émergence du cloud et l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle limitent les possibilités d’intervenir par le dialogue social dans l’accompagnement du changement technologique et permettent une surveillance accrue des citoyens (les applications traçant le Covid en sont une démonstration récente).
- Les stratégies de management des firmes multinationales qui restructurent en permanence, externalisent des activités non-stratégiques et délocalisent des moyens de production pour exercer des pressions sur les prix à travers la chaine de valeur qu’ils contrôlent de bout en bout, tout en s’affranchissant le plus possible des obligations de la législation du travail. Ces critères du privé sont également appliqués par les administrations publiques, (chapitre 3) qui introduisent des méthodes de contrôle et de reporting du privé.
- Le déclin du rôle des syndicats, affaiblis par une baisse constante du nombre d’adhérents, crée un déséquilibre de pouvoir entre l’industrie et les forces de travail.
- Les politiques économiques néolibérales appliquées de toute part qui favorisent les stratégies court-termistes. Notons particulièrement le chapitre 3 qui analyse les politiques de « management nouveau » dans les services publics et les vagues de privatisation partiellement influencées par la politique d’ouverture à la concurrence de la Commission européenne. Un exemple flagrant : le secteur hospitalier en France, qui souffre d’un manque de moyens humains en permanence.
Les chapitres 4 à 7 analysent l’influence de ces facteurs externes sur la relation et les conditions de travail. Accroissement du travail temporaire, à durée déterminée et à temps partiel, le travail salarié change et la précarité s’accroît. L’évolution du travail fait appel à des compétences et qualifications différentes et crée un déséquilibre entre l’offre et la demande de compétences. Les évolutions liées à la digitalisation mènent à un accroissement simultané de la part des métiers les plus qualifiés et de celle des moins qualifiés, induisant une baisse concomitante de la proportion des effectifs en emploi au milieu de l’échelle des qualifications : on parle de polarisation du travail, et l’employabilité et le développement des compétences deviennent le maître-mot. En même temps, la problématique des seniors émerge avec insistance quand il faut gérer les défis démographiques liés au vieillissement de la population.
Les évolutions liées à la digitalisation mènent à un accroissement simultané de la part des métiers les plus qualifiés et de celle des moins qualifiés."
Les chapitres 6 et 7 traitent des conditions de travail : le passage d’une économie centré sur la production à une orientation sur le client, des changements technologiques et organisationnels ont altéré le travail, notamment dans le secteur des services. L’intensification du travail produit des risques psychosociaux qui seront analysés à travers l’étude européenne EWCS (European Working Conditions Survey) effectuée tous les 5 ans par l’Eurofound, la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, une agence communautaire qui contribue à la planification et à la mise en œuvre de meilleures conditions de vie et de travail en Europe. Les risques psychosociaux, le stress au travail et la prévention des risques est devenu un sujet suffisamment préoccupant et le chapitre 7 explique à la fois l’historique des méthodologies pour appréhender ces risques qui engendrent des coûts (absentéisme, maladies professionnelles,..) et explique les approches des différents pays participant à l’étude. Certains pays, dont la France, gèrent ces risques en raison d’une obligation légale et pour éviter des sanctions ou par peur de risque réputationnel, alors que d’autres (dont la Suède), ont compris que de bonnes conditions de travail contribuent à l’accroissement de la productivité.
Le livre se termine par une analyse du marché des consultants en relations de travail et un résumé des bonnes pratiques. Un post-scriptum sur les conséquences de la crise du Covid-19 a été rajouté avant la mise à l’impression. Cette crise sanitaire inédite pourrait changer de façon durable nos manières de travailler ; elle met en exergue les métiers "invisibles, mal payés et précaires", et pourtant essentiels pour le fonctionnement de nos économies.
Passionnant, ce livre constitue une ressource qui permet de comprendre les changements des relations et de l’organisation du travail en Europe à travers des exemples concrets de cinq pays ; c’est également une source importante de références bibliographiques. Une vraie aide pour tout travail de recherche, il permet de comprendre les grands courants des analyses de travail. Seul inconvénient : il n’existe, à ce jour, qu’en langue anglaise….
► "What about the Workers? Forty years of labour consultancy in Europe" (à télécharger sur arete.fr)
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