L’explosion du chômage des cadres seniors : une réalité méconnue et tue
Pour les cadres séniors chômeurs de longue durée, « ça ne va pas mieux » malgré ce que disent les ministres.
1. Le chômage de longue durée va croître en conséquence de la crise
Si les destructions d’emplois liées à la crise ont été heureusement et efficacement « amorties » par l’Activité Partielle et les soutiens aux entreprises, le ralentissement des embauches et les non-renouvellements de CDD ont provoqué en 2020 une hausse inédite du chômage.
La reprise de la croissance en 2021 produit un reflux, mais les chiffres concernant les cadres restent encore au-dessus du niveau d’avant crise : en valeur relative, les cadres sont ceux dont la situation vis-à-vis du chômage s’est le plus dégradée
Alors que les demandeurs d’emploi en fin de mois (les fameux DEFM) catégories ABC ont augmenté de 205 600 de février 2020 à juillet 2021 (+3,6%), les cadres représentaient à eux seuls une augmentation de 78 900 (+18,2%), soit 38% de la hausse du chômage sur la période alors qu’ils ne représentaient en février 2020 que 7,6% des DEFM.
Si on y ajoute les jeunes diplômés du supérieur (Bac + 3 et au-delà), cadres + jeunes diplômés représentent 46% de la hausse des DEFM sur cette période !
Conséquence déjà observée dans les crises du passé : le « décrochage » d’une partie des demandeurs d’emploi qui conduit à une montée du chômage de longue durée voire de très longue durée. La « perte d’employabilité » qui résulte d’une période de chômage qui dure risque de transformer un problème « conjoncturel » en problème « structurel ».
Ainsi entre le 2ème trimestre 2020 et le 2ème trimestre 2021 le nombre de DEFM catégories ABC inscrits depuis plus d’un an a augmenté de 6,6%. Ils représentaient fin juin 2021 plus de 50% des inscrits (50,3%).
2. Quand on est cadre, le risque spécifique du chômage de longue durée
Si les cadres ont un taux de chômage inférieur à celui des autres catégories professionnelles, ils ne sont pas épargnés par le chômage, ni par le chômage de longue durée.
Parmi les 511 800 cadres inscrits à Pôle emploi fin juillet 2021 (cat ABC), 41,9% le sont depuis plus d’un an, soit un peu plus de 214 000 personnes.
42% de ces DELD (« demandeurs d’emploi de longue durée ») cadres ont plus de 50 ans (près de 90 000 cadres), une proportion bien plus élevée que celle observée chez les demandeurs d’emploi en général (27%) : le chômage de longue durée des cadres frappe d’abord les seniors.
3. Une réponse de l’APEC, modeste mais engagée
Confrontée depuis longtemps à ce dualisme du marché de l’emploi cadre – tension sur les recrutements d’un côté, populations fragilisées de cadres chômeurs de longue durée qui « décrochent » de l’autre – l’Apec a développé depuis 2013 un programme aujourd’hui bien rodé : le programme « Nouveaux Horizons ». Ce service est complémentaire de tous les autres.
La plupart des participants entrent dans ce programme sur orientation de Pôle emploi, qui connaît bien et apprécie la prestation (elle peut se dérouler parfois, dans les villes moyennes où l’Apec n’a pas de locaux, dans ceux de Pôle Emploi).
L’âge moyen des participants est de 47 ans, 57% sont des femmes, sachant que les groupes sont toujours constitués de manière à garantir une diversité indispensable à la dynamique du groupe.
L’efficacité en termes de remobilisation des participants est particulièrement forte, à la mesure de l’investissement réalisé (6 jours + l’accompagnement individuel en amont et en aval) : 45% de reprise d’une activité en moyenne 3 à 6 mois après la fin de la prestation, 76% considérant que la prestation les a aidés à obtenir ce changement de situation professionnelle. Le taux de satisfaction des participants est proche de 96% (notes de 6 à 10) et même 69% de notes 9&10.
Le Conseil d’administration paritaire de l’APEC vient de s’engager à doubler le nombre de cadres DELD qui pourront accéder à cet accompagnement renforcé en 2022 : un financement (3 M€) du fonds social européen permettra de recruter les 23 consultants supplémentaires prévus.
4. Mais on reste loin du compte … et le ministère apure ses comptes sur le dos des chômeurs
Passant de 1 500 à 3 000 cadres suivis par l’APEC avec ce dispositif… on est certes loin des 90 000 cadres concernés.
Bien sûr pour ces 90 000 cadres il y a aussi l’accompagnement habituel de Pôle emploi et de l’APEC ainsi que des soutiens d’un grand nombre de réseaux associatifs (tel SNC partenaire de l’APEC … et de la CFDT) et d’acteurs sociaux (comme le réseau Agirc-Arrco pour le soutien des salariés très fragilisés).
Par ailleurs, les équipes de l’APEC déploient dans les régions l’opération Talent Seniors de mentorat de cadres seniors.
Pourtant les fédérations d’employeurs ainsi que toutes les confédérations syndicales se sont engagées pour l’emploi des cadres seniors en signant l’accord national interprofessionnel Cadres en février 2020. Sans doute pouvons-nous, devons-nous, aller plus loin que le premier pas utile engagé à l’APEC en direction des cadres séniors en chômage de longue durée, dans les entreprises, les branches et au plan national.
Du côté du ministère du travail, le coup de rabot (la fameuse dégressivité) sur les allocations chômage n’est pas seulement dégressif, il est régressif dans le signal qu’il donne de l’incompréhension des dynamiques propres à ce marché du travail.
5. L’emploi des seniors, des mesures ciblées pour des maux précis.
Lutter contre les discriminations liées à l’âge : La CFDT Cadres distingue ce qui relève de comportements discriminatoires à l’égard des salariés seniors, et qui doivent avoir leurs mesures de lutte propres, de ce qui relève des questions de gestion tout au long de la vie des compétences, des enjeux de santé au travail, et de la nécessaire meilleure reconnaissance de l’expérience.
En matière de lutte contre les discriminations, les index sont de récents outils d’amélioration. La CFDT-Cadres est favorable à la mise en place obligatoire pour les grandes entreprises d’un index seniors dans la mesure où les indicateurs peuvent être négociés au niveau de la branche, ou mieux de l’entreprise, et prendre ainsi en compte la réalité de l’impact du travail sur l’âge. Selon les secteurs d’activité, l’âge d’entrée en « senior » varie parfois de 15 ans !
Reconnaitre l’expérience et soutenir la reconversion : Les cadres DELD doivent aussi pouvoir être concernés par le fléchage des fonds pour la formation professionnelle qui s’envisage en ce moment au niveau du gouvernement pour faciliter le retour à l’emploi des chômeurs de longue durée. Peut-être davantage que d’autres groupes professionnels plus homogènes, celui des cadres est fait d’une myriade de fonctions et d’environnement en évolution permanente, et connait des conditions de travail et de rémunérations extrêmement disparates. On ne peut pas parler d’une seule catégorie !
Le travail sur soi de reconversion, de repérage, d’arbitrage est complexe et prend du temps surtout quand les conditions d’éviction du marché du travail sont le résultat d’un management sans ménagement, qui n’a pas consolidé les compétences transverses, ou enrichi l’expertise, facilité l’ouverture et la confiance en soi.
Constituer une meilleure reconnaissance de l’expérience dans les entreprises est l’enjeu central, et concret, de la gestion des âges au travail. Pour cela, des outils sont disponibles et contre-utilisés : entretiens professionnels revalorisés, modalités nouvelles de formation professionnelle (Type AFEST). Mais ce sont les outils de management qui sont dévalorisés… car mal conduits aujourd’hui.
par Laurent Mahieu, secrétaire général de la CFDT Cadres et Anne-Florence Quintin, secrétaire nationale CFDT Cadres
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