[Entretien] Quelles sont les attentes des cadres ?
Laurent Mahieu (Secrétaire général CFDT Cadres) analyse pour Xerfi Canal les résultats du dernier baromètre CFDT Cadres - Kantar.
Quelles sont les attentes des cadres ?
La CFDT Cadres vous propose une reprise des échanges qui ont animé la présentation du dernier baromètre CFDT Cadres - Kantar sur le plateau de Xerfi Canal (interview par Adrien de Tricornot, Novembre 2019).
attentes professionnelles et statutaires des cadres : quels sont les évolutions marquantes relevées dans le dernier baromètre Kantar ?
Laurent Mahieu : Après l’enquête en 2015, le baromètre 2019 indique chez les cadres un accroissement significatif de la satisfaction générale sur les grands registres classiques (emploi, expression, charge, rémunération) qui fondent le rapport investissement/rétribution. De ce fait le rapport donnant/gagnant s’améliore (30 % gagnants, 30 % perdants, 40 % équilibrés). On constate globalement une stabilité des attentes pour mieux vivre leur travail.
Il y a également une vision plus partagée des grandes fonctions du rôle professionnel des cadres (expertiser, décider, piloter et manager) couplées à la notion d’autonomie. Voilà des dimensions (attentes et vision) sur lesquelles mener un travail de fond au travers des politiques RH et du dialogue social pour renforcer la vision partagée et répondre aux attentes.
Par contre, lorsque l’on questionne le quotidien du travail des managers sur les actes de base du management, le baromètre affiche une détérioration forte et tous les voyants plongent dans le rouge de façon assez uniforme qu’il s’agisse d'expliquer et faire accepter les décisions, motiver les équipes, gérer les individualités, etc. Ces mêmes managers expriment en creux une attention pour leurs équipes et leur rôle de managers : ils sont préoccupés de ne pouvoir maintenir un niveau de stress acceptable pour leurs équipes ; ils veulent apprendre à manager ; ils demandent plus de marges pour reconnaître et rétribuer le travail de leurs équipes. Le quotidien est laborieux.
Il y a dix ans, nous intitulions « Occupons-nous des managers » une communication dans un congrès de la FNEGE. Aujourd’hui, la situation des non-managers doit nous interpeller : ils expriment une moindre satisfaction que les managers et se sentent moins soutenus par leur N+1.
Les cadres expriment un certain nombre de craintes. Néanmoins, celles-ci sont en baisse depuis 2015. Comment analyser les aspirations des cadres ?
Laurent Mahieu : Soulignons tout d’abord que les craintes sur l’emploi sont stables ou en baisse : qu’il s’agisse de la perte d'emploi (34 %, stable), de la mise au placard (38 %, stable) ou du blocage de carrière à 52 % (moins 10 points).
Cependant, sur des éléments clés du contrat de confiance (rémunération, désaccord, dégradation des conditions de travail, qualité du travail), des craintes demeurent et restent répandue à un haut niveau. On peut y voir la conscience d’un monde professionnel qui se durcit (des changements incessants, brutaux) et qui se liquéfie (les règles protectrices ou régulatrices sont affaiblies). On peut y lire également la crainte de la remise en cause de leur professionnalisme (concernant la valeur du point de vue d’expert, l’exigence de la qualité du travail).
En contrepoint, de façon plus générale, les cadres indiquent pouvoir compter sur leur premier cercle professionnel (collaborateurs, pairs, N+1) et expriment un besoin fort d’écoute de la part leur manager. Ceci se traduit par des attentes au niveau des appuis pour le parcours professionnel (besoin de formation, besoin d’accompagnement) ; ceci n’est pas sans lien avec les changements en cours du Compte Personnel de Formation ou de l’assurance chômage.
70% des cadres du secteur public redoutent désormais de « ne plus avoir les moyens de faire un travail de qualité ». Peut-on parler de malaise ?
Laurent Mahieu : Les cadres publics sont en crise et la moitié d’entre eux se considèrent perdants vis-à-vis de l’employeur public dans le rapport entre investissement et reconnaissance. Ils se plaignent d’être tenus à distance de leur direction (54%) ; ils subissent des changements mal anticipés (64 % contre 37 % dans le privé) et mal gérés (58 %contre 35 %) ; ils déplorent une baisse des moyens pour faire un travail public de qualité (70% contre 56%).
Sur ce dernier point, cela traduit l’exigence de qualité de service inhérente aux exigences du service public (égalité de traitement, continuité, adaptation). Ils n’ont pas le sentiment d’être gagnant dans leur rapport à l’employeur ; plus encore, un sur deux se déclare perdant. Le malaise est profond.
Les jeunes cadres (moins de 35 ans) expriment le souci d’entretenir leurs compétences, leurs envies de mobilité ou leurs difficultés à manager. Quid de ces préoccupations, plus fortes chez eux que dans la moyenne de la population des cadres ?
Laurent Mahieu : Du fait de leur expérience personnelle ou générationnelle, les jeunes cadres d’aujourd’hui ont une plus grande sensibilité aux aléas du parcours. L’entrée dans la vie professionnelle n’a pas été pour tous un tapis de fleurs : en cela, les derniers travaux du CEREQ sont révélateurs d’une dégradation forte des débuts de vie active des futurs jeunes cadres.
Par ailleurs, en amont, leurs études les ont préparés ou sensibilisés à la nécessité d’apprendre tout au long de la vie.
Ils sont donc plus inquiets que leurs aînés sur la perte emploi, le déclassement, l’intérêt du boulot. Et 7 sur 10 expriment un besoin d’accompagnement pour changer de métier.
De même, ils ont une forte inquiétude quant au développement de leurs compétences (+ 13 à 62 %). De ce fait, leurs attentes pour mieux vivre leur travail sont fortes sur ces thèmes là :
- Pour 8 sur 10, développer l’expertise est prioritaire ;
- 7 sur 10 veulent apprendre à piloter un projet (77 % à manager).
La loi Avenir Professionnel avec l’appli dans la poche n’est pas à ce jour à la hauteur des besoins exprimés par les jeunes cadres ; ils doivent trouver des réponses dans les conventions de branches et les accords d’entreprise. Enfin, signalons leur grand besoin d’équilibre et de déconnexion : 75 % des jeunes cadres ont besoin de pouvoir se déconnecter (contre 66 % pour les plus âgés).
Si les jeunes cadres sont à fond mobilisés pour leur travail et leur avenir professionnel, ils veulent pouvoir vivre à fond leur vie en dehors du travail et sont donc très attentifs à l’équilibre entre ces deux pôles et à leur déconnexion.
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