Avant-projet de loi El Khomri : ces mesures qui ne passent pas
L’avant-projet de loi de la ministre Myriam El Khomri, qui doit mettre sur les rails la réforme du code du travail et le compte personnel d’activité, a mis le feu aux poudres. En cause, les (trop) nombreuses concessions aux revendications patronales.
Cela fait des mois que l’encre coule au sujet du projet de loi que doit porter la ministre du Travail Myriam El Khomri. Au départ, ce devait être le véhicule législatif de la réforme préconisée par l’ancien directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, dans son rapport « La négociation collective, le travail et l’emploi » : clarifier ce qui relève du code du travail et donner plus de place à la négociation collective en donnant « plus de souplesses aux entreprises mais pas moins de protections aux salariés », selon la promesse faite par le Premier ministre Manuel Valls à la remise du rapport. C’est le fameux code à trois étages : un socle de droits applicables à tous, un étage négociable et ce qui s’applique (le supplétif) en l’absence d’accord collectif, les branches devenant un acteur clé dans cette architecture. Une orientation à laquelle la CFDT, dont le dialogue social est inscrit dans l’ADN, ne peut que souscrire.
Un texte déséquilibré
Sauf que… Le contexte a vu se durcir les positions patronales à tous les niveaux. Et l’avant-projet de loi « visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », transmis le 17 février au Conseil d’État et aussitôt dévoilé dans la presse, s’est étoffé de nombreuses dispositions bien éloignées de la réforme initiale. La reprise in extenso, dans le premier article, des 61 principes fondamentaux du droit du travail énoncés par la mission Badinter en préambule au futur code du travail n’y suffit pas. « C’est potentiellement intéressant, mais ce n’est pas de nature à compenser les mesures prises par ailleurs », a estimé Laurent Berger, dans une interview au Monde du 20 février.
En cause, les concessions aux revendications du Medef. Parmi celles-ci, deux articles sont particulièrement inacceptables pour la CFDT. L’article 30 prévoit ainsi le plafonnement des indemnités prud’hommes en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Comme le Conseil constitutionnel avait retoqué de la loi Macron le barème différencié selon la taille de l’entreprise, le gouvernement a opté pour un plafonnement uniquement fonction de l’ancienneté du salarié. Les plafonds vont de 3 mois pour un salarié ayant moins de 2 ans d’ancienneté à 15 mois pour plus de 20 ans d’ancienneté. Quels que soient la taille de l’entreprise, la situation du salarié et surtout la nature du préjudice subi !
L’article 30 bis élargit quant à lui la définition du licenciement économique, possible en cas de mutations technologiques, mais aussi de réorganisation « nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité » ou de « difficultés économiques » (baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, pertes d’exploitation, importante dégradation de la trésorerie, ou « tout élément de nature à justifier de ces difficultés »). À la négociation de déterminer le nombre de trimestres consécutifs de baisse justifiant un licenciement économique. Faute d’accord, quatre trimestres de diminution des commandes ou un semestre de perte d’exploitation suffiront. Un niveau que Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT, juge « bien trop bas pour inciter à la négociation ; c’est inacceptable ».Qui plus est, ces éléments seront appréciés au niveau de l’entreprise ou du territoire national. Une évolution que la CFDT juge dangereuse, craignant une fragilisation des salariés : « Un groupe pourrait alors très bien s’organiser pour que sa filiale française ait de moins bons résultats pendant un moment – même si le reste du groupe fonctionne bien en Europe – et organiser un plan social dans la filière française », met en garde Véronique Descacq.
Ces mesures ont mis le feu aux poudres, combinées à une réécriture de la législation sur le temps de travail qui ne respecte pas le cahier des charges initial. Si beaucoup de contre-vérités ont été répandues sur cette partie du texte – comme la disparition du socle minimal de 24 heures pour les temps partiels ou des congés spéciaux, ce qui est faux –, plusieurs dispositions vont à l’encontre de la santé des salariés et de l’esprit même de la réforme : le texte prévoit ainsi le renvoi à la décision unilatérale de l’employeur, à défaut d’accord, sur de nombreuses modalités d’organisation du temps de travail et laisse entièrement à la main de l’employeur la question du forfait-jours dans les entreprises de moins de 50 salariés.
Pour la CFDT Cadres, l'ouverture du forfait jours aux autres salariés ne correspond pas à un besoin et brouille la question de l'autonomie professionnelle. Il ne saurait d’ailleurs être imposé ou décidé de façon unilatéral, il doit passer par une négociation. Sans elle comment définir l’autonomie professionnelle ? Les dispositions légales réservent le régime du forfait aux salariés ayant un degré d’autonomie important allant généralement de pair avec la supervision d’autres salariés.
Ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain !
La CFDT entend donc peser fortement auprès des parlementaires et de l’opinion publique pour « faire rectifier ce texte », selon l’expression de Laurent Berger. Car il n’est pour elle pas question de jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est-à-dire le renforcement de la négociation collective, à laquelle la CFDT tient – c’est pourquoi elle s’est déclarée favorable à des accords rendus majoritaires par consultation des salariés, à l’initiative d’organisations syndicales recueillant 30% des voix. Mais le maquis des 53 articles du texte recèle aussi nombre de dispositions positives : augmentation du nombre d’heures de délégation syndicale, possibilité d’utiliser le budget de fonctionnement du comité d’entreprise pour former les délégués syndicaux et du personnel, accès à l’intranet de l’entreprise pour la communication syndicale, sécurisation de la mise à disposition de locaux syndicaux, renforcement de la lutte contre le détachement illégal de travailleurs… Sans compter la mise en place du compte personnel d’activité, levier majeur de la sécurisation des parcours professionnels que la CFDT compte bien enrichir. En clair : le projet de loi doit sécuriser davantage les travailleurs sans céder aux « idées de libéralisation les plus farfelues du patronat » dénoncées par Laurent Berger.