Monétisation des RTT : vieille recette déconnectée du réel et tour de passe-passe
Laurent Mahieu (secrétaire général CFDT Cadres) et quinze personnalités ont signé une tribune pour dénoncer une mesure dérogatoire adoptée dans le projet de loi de finances rectificative 2022 : la monétisation des RTT.
Propos de Laurent Mahieu, secrétaire général de la CFDT Cadres :
Au cœur de l’été, le Parlement a adopté le projet de loi « portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat » et le projet de loi de finances rectificative. Ces deux textes devaient répondre à l’envolée de l’inflation, qui pèse sur de nombreux Français, en particulier les plus fragiles, y compris parmi les salariés cadres (chômeurs séniors de longue durée au RSA, jeunes cadres débutant juste au-dessus du SMIC, etc.).
Si les 2 textes contiennent des mesures attendues pour améliorer le pouvoir d’achat, les choix faits ne stimulent pas assez les politiques salariales des entreprises et ne prennent pas en compte l’évolution du travail.
Certaines mesures vont avoir des conséquences négatives pour les travailleurs. Ainsi, pérenniser et tripler la « prime de pouvoir d’achat » revient à inciter à substituer des primes à des augmentation salariales, qui, elles, ouvrent des droits futurs aux travailleurs – en termes d’assurance-chômage, de retraite, etc.
Là où il aurait fallu être créatif, et développer par exemple les dispositifs négociés d’intéressement et de participation, le Parlement sert de vieilles recettes avec la monétisation des RTT.
Cette dernière mesure est déconnectée du réel – mais toujours connectée aux vieilles lunes anti 35 heures - : déconnectée des attentes des salariés de pouvoir faire l’usage qui leur convient de ces jours de repos compensateurs, à rebours de cette forme de subordination augmentée, déconnectée et à rebours aussi du dialogue social prôné par ailleurs ! Il en va de même en matière de contournement de la négociation d’entreprise pour l’intéressement… Pourtant, dans la période récente de crise sanitaire, le dialogue social a montré sa capacité à répondre à l’urgence de la situation.
C’est doublement un tour de passe-passe : d’une part les lois visent à protéger et développer les solidarités il s’agit là d’une mesure totalement individualisée ; d’autre part, dans ce chacun pour soi, c’est soi-même qui paie son propre maintien de pouvoir d’achat. Et que dire de l’argument avancé par le député Feracci que cette mesure serait une anticipation sur la banque des temps et le compte épargne temps universel, propositions portées par la CFDT ? avant même d’avoir pu épargner ou d’y avoir crédité du temps, il faudrait déjà le dépenser …
Au nom de la CFDT Cadres, j’ai signé avec d’autres acteurs politiques et sociaux une tribune parue le 31 juillet dans le JDD et Le Monde sur cette mesure de monétisation des RTT et ces dispositions de régression sociale.
À la lecture des dernières publications sociales, il semblerait que les jours de repos liés au forfait annuel en jours seraient exclus de la disposition… Signalons enfin que l’enjeu fondamental de la juste répartition de la richesse créée dans l’entreprise est également absent de ces textes, tout comme la question de la solidarité fiscale, avec le rejet de la contribution exceptionnelle des plus hauts revenus. Tout ceci augure mal des délibérations sociales nationales envisagées à l’automne. « L’été sera chaud », mais l’automne ? "
par Laurent Mahieu, secrétaire général de la CFDT Cadres
Lire la tribune
Les signataires : Eric Ferreres, directeur des ressources humaines adjoint, expert relations sociales, Olivier Mériaux, docteur en sciences politiques, ex-directeur général adjoint de l’Anact, François Desriaux, expert santé et conditions de travail, Eva Sas, députée de la 8e circonscription de Paris, François Hommeril, président de la CFE-CGC, Yannick Jadot, député européen, Aurore Lalucq, députée européenne, Eric Piolle, maire de Grenoble, Dominique Méda, professeure de sociologie, Université Paris Dauphine, Frédéric Lerais, économiste, directeur de l’IRES, David Belliard, maire adjoint de Paris, Guillaume Duval, ancien rédacteur en chef d'Alternatives économiques, Michèle Chay, vice-présidente de la commission travail emploi du CESE, Pierre Mériaux, adjoint au maire de Grenoble chargé du personnel et du dialogue social, Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po, Laurent Mahieu, secrétaire général CFDT Cadres.
+ d'infos
« Monétisation des RTT : le cheval de Troie d’une régression sociale » (.pdf)
TRIBUNE. « Monétisation des RTT : le cheval de Troie d’une régression sociale » (jdd.fr)
Loi Pouvoir d'achat : Des mesures contrastées (cfdt.fr)