Banque et assurances

[FBA-CFDT] Finance et technologie : un état des lieux, des enjeux, une perspective

15 jan 2020

La fédération Banques Assurances de la CFDT dresse un bilan de l'impact du numérique sur les professions du secteur.


depuis CFDT Magazine n°459 - Pages spéciales Banques & Assurances - Janvier 2020
Par Luc Mathieu, Secrétaire général CFDT Banques et Assurances

 

En France, depuis 1978, on annonce périodiquement, tous les 20 ans environ, un bouleversement du secteur financier du fait des nouvelles technologies. Mais qu’en est-il en réalité ? Certes, le déploiement du numérique impacte les métiers et tous les secteurs, pour autant faut-il nécessairement en avoir peur ? Quoi qu’il en soit, l’analyse de la situation aujourd’hui montre qu’outre une évolution technologique inéluctable, les facteurs de changement dans les banques et assurances sont multiples et les défis à relever, nombreux.

C’est en janvier 1978 que le célèbre rapport Nora Minc(1) annonce que l’informatisation massive pourrait entraîner la disparition en 10 ans de 30 % des emplois dans la banque et l’assurance. Un an plus tard, le prospectiviste Michel Godet titre dans un article du Monde(2) que « la banque pourrait être la sidérurgie de demain ». Vingt ans plus tard, en 2001, un article du Centre d’Économie Industrielle (rattaché à l’École des Mines de Paris)(3) est sobrement intitulé « Désintégration numérique dans l’industrie bancaire ». On le voit donc, le discours d’aujourd’hui sur « l’ubérisation » des services financiers s’inscrit dans une longue lignée historique catastrophiste.

 

Un facteur de changement parmi d’autres

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne se passe rien aujourd’hui ni qu’il faudrait traiter les enjeux avec désinvolture. En effet, banques et assurances sont confrontées à une série de défis et parmi eux, on peut noter la question du numérique (ou du digital puisqu’on utilise les deux expressions). Il n’est néanmoins que l’un de ceux-ci, qui interagissent, par ailleurs, entre eux. On peut citer :

  • L’interrogation des modèles économiques due entre autres à la question des taux bas persistants, l’évolution des canaux de distribution ainsi que les nouveaux entrants, sur le marché des paiements notamment.
  • La question réglementaire et son impact sur les secteurs. Celle-ci a considérablement évolué en 10 ans avec des conséquences qui ne peuvent être niées.
  • Le comportement des consommateurs à la fois en tant qu’individus dans leurs choix de modèle de prestataire (classique ou numérique) en fonction du rapport coût/services, et en tant que groupes organisés qui pèsent sur le régulateur dans la limitation des frais ou aspirent à une banque plus durable et plus responsable.
  • Des évolutions sociétales également : nouveaux modes de travail, nouveaux modes de consommation, nouvelles attentes des jeunes collaborateurs (92 % de la génération Y refuse le profit comme seule mesure de la performance).

À côté de ces challenges, les évolutions technologiques (poursuite de la dématérialisation et de l’automatisation de processus, big data, intelligence artificielle, blockchain) constituent un autre facteur de changements.


Le numérique impacte aujourd’hui l’ensemble de l’environnement du salarié. "


Le numérique touche à tout, dans tous les secteurs

Mais qu’est-ce qui fait que le numérique prend une place centrale dans l’espace médiatique, puisque semaine après semaine, le discours invariablement anxiogène autour du couple innovations technologiques et emplois fait la une.

Sans doute pour deux raisons. La première, c’est que le phénomène touche aujourd’hui tous les secteurs économiques en même temps, ce qui n’était pas forcément le cas il y a 40 ans, et notamment des secteurs qui n’avaient pas été impactés (ou peu) jusqu’ici par l’informatisation de leur coeur de métier. Le cas des transports de personnes est à cette enseigne un cas d’école dans lequel un prestataire de service vient s’interposer entre un client (le voyageur) et son prestataire (le « taxi », par exemple) pour les mettre en relation.

Le numérique touche à toutLa deuxième raison, c’est que cela touche l’ensemble de l’environnement du salarié au travail. Pour être plus explicite, si l’on considère le salarié comme un individu, avec les compétences qui lui sont propres et les tâches qu’il a à effectuer, sur un poste de travail physique, partie prenante d’un collectif de travail, avec un manager, sur un site appartenant à une entreprise insérée dans un tissu économique social et géographique (voir figure ci-contre), le numérique a un effet sur tous les compartiments que l’on vient de citer :

  • il remet en cause les tâches effectuées et demande une évolution des compétences mises en oeuvre par le salarié (voir ci-après),
  • sa mise en place permet avec le télétravail de sortir le poste de travail de l’entreprise, avec le flex-office(4) d’éclater les collectifs de travail, télétravail et flex-office révolutionnent le lien avec le management qui traditionnellement s’exerce avec une unité de temps et de lieu,
  • les sites eux-mêmes sont évidemment impactés, soit parce qu’ils se réduisent en surface (flex-office), soit parce qu’ils disparaissent en partie (cas des fermetures d’agences bancaires),
  • l’ensemble de l’entreprise s’en trouve reconfigurée, son fonctionnement bouleversé,
  • et finalement, les rapports de l’entreprise avec son environnement extérieur sont touchés également, ne serait-ce que parce des sites disparaissent, se réduisent ou se développent.

 

Le numérique, c’est d’abord ce qu’on en fait

Les deux raisons que l’on vient d’évoquer suffisent à expliquer qu’au-delà de la question technique pure, le numérique aujourd’hui est au centre des préoccupations. La première raison invoquée est son impact négatif sur l’emploi. Il faut ici rappeler que le débat des conséquences sur l’emploi des innovations technologiques n’est pas un débat nouveau, il est même vieux comme la révolution industrielle. Il faut aussi rappeler que la question de l’impact sur l’emploi est aussi le résultat d’une stratégie, c’est-à-dire d’une intention de la part des entreprises. On constate en effet deux grands types de stratégie dans nos secteurs :

  • Celle qui considère que le numérique doit permettre aux salariés de mieux faire leur travail (ce qui générerait à terme des revenus supplémentaires). Cela n’est pas incompatible avec une évolution importante des activités et des compétences.
  • Celle qui estime que le numérique permet de faire baisser les coûts.

Ces stratégies sont plus ou moins explicites dans le discours des entreprises, celles optant pour la première stratégie l’étant évidemment beaucoup plus que les autres.

Ce débat devrait être au cœur du dialogue social dans les entreprises, car le numérique avant d’être une question technique, une révolution inéluctable qui nous entraînerait tous vers un avenir inconnu est d’abord ce qu’on veut qu’il soit. Il est urgent que les institutions représentatives du personnel s’en emparent.

 

Des études nombreuses dans nos professions

Une chose est à peu près sûre cependant, c’est que, dans ce contexte, les compétences mises en oeuvre par les salariés sont amenées à évoluer. Les observatoires des métiers de la profession ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, ils travaillent depuis plusieurs années maintenant autour de l’évolution des compétences dans l’environnement du digital. Cela s’est traduit dans les deux secteurs par un travail spécifique sur les compétences digitales de base à maîtriser, mais aussi par des études spécifiques :

  • dans l’assurance, des études centrées plutôt sur les métiers (« Les métiers au temps du digital »)(5),
  • dans la banque, des études plus générales comme « La banque à 2020-2025 : emploi et compétences » (2017), « L’intelligence artificielle dans la banque : emploi et compétences » (2018), « Nouvelles compétences, transformation des métiers à horizon 2025 : réussir l’accompagnement au changement » (2018)(6).

 

L’exemple de la banque

Que nous disent ces études sur l’évolution de l’emploi ? Si on prend l’exemple de la banque, si peu de métiers vont disparaître, la plupart vont se transformer, avec un renforcement de la spécialisation pour répondre aux nouvelles exigences du secteur (montée en compétences généralisée). Certains métiers, comme ceux de la data et de la gestion de projet, vont apparaître ou prendre une importance capitale dans les entreprises du secteur. Les changements demanderont une redéfinition des passerelles de mobilité et un accompagnement des salariés dans les transformations. Elles auront un rôle capital dans leur montée en compétences.

Les compétences transversales deviendront particulièrement importantes. Elles permettront de renforcer l’employabilité et faciliter la mobilité. Huit compétences seront notamment nécessaires : s’adapter au changement, apprendre à apprendre, travailler de façon communautaire, communiquer/avoir de l’impact, s’orienter vers le client, résoudre les problèmes et développer ses compétences…

Une excellente maîtrise des compétences techniques restera un prérequis
nécessaire à l’exercice des professions bancaires.


Il est primordial que les militants de la CFDT imposent le sujet du numérique dans le dialogue social. "


Une CFDT mobilisée

Dans ce contexte, que doivent faire les représentants du personnel et singulièrement ceux de la CFDT ? Le constat qui peut être fait, c’est que le sujet a été confisqué par les directions d’entreprises.

Le débat sur les orientations stratégiques en matière numérique n’existe que de manière très marginale. Il est primordial que les militants de la CFDT l’imposent dans le dialogue social car il ne sert à rien de parler de formation professionnelle ou d’évolution des compétences si la stratégie de l’entreprise est en réalité de supprimer de l’emploi. C’est seulement à partir du moment où le cadre stratégique est posé qu’il est possible de travailler autour des compétences et de la formation.

Il faut là aussi être clair, l’investissement des entreprises dans la formation n’ira pas de soi. La modification des règles générales de la formation professionnelle, du fait de la réforme « Liberté de choisir son avenir professionnel », rend plus difficile pour les entreprises la récupération des fonds de la formation qu’elles versent aux collecteurs. Les efforts pourtant indispensables en matière de formation seront vus par les entreprises comme un coût supplémentaire dans un contexte où celles-ci veulent les réduire ou a minima les contenir.

Il s’agit donc que les militants de la CFDT se mobilisent intensément sur cette question. Ils sont bien décidés à le faire !


(1) Simon Nora, Alain Minc, « L’informatisation de la société », La Documentation Française, 1978, page 36
(2) Michel Godet, « La banque pourrait être la sidérurgie de demain », Le Monde 22 février 1979
(3) Nathalie Daley, « Désintégration numérique dans l’industrie bancaire », Revue Influx n° 3, mai 2001
(4) Le flex-office est une nouvelle forme d’attribution des postes de travail pour les salariés. Dans un fonctionnement classique : le salarié à un poste fixe attribué, qu’il soit en open space ou dans un bureau fermé. En flex-office, l’espace de travail est réparti en fonction des usages ou de l’ordre d’arrivée des salariés sur le site.
(5) Sont parues aujourd’hui les métiers du marketing au temps du digital, les métiers de la logistique…
les métiers de la souscription et de la gestion de contrat…
(6)Toutes les études citées sont disponibles sur les sites des observatoires : observatoire-metiers-banque.fr ; metiers-assurance.org

 

+ d'infos

Finance et Technologie : un état des lieux, des enjeux, une perspective (PDF)

Site de la Fédération Banques Assurances CFDT

 

Visuel : CFDT Magazine