Enjeux socio-écologiques : formons l’ingénieur du 21e siècle !

22 avr 2022

The Shift Project et le Groupe INSA publient un rapport ayant pour objectif l'intégration de nouveaux enjeux, climatiques notamment, dans les formations d'établissements d’enseignement supérieur.

par Nathan Coutable, Observatoire des Formations Citoyennes

Rapport « Former l’ingénieur du 21è siècle » du Shift Project et de l'INSA

Le 10 mars 2022, le Shift Project a présenté son rapport final du projet « Climat Sup INSA : Former l’ingénieur du 21è siècle ». Think tank créé par Jean-Marc Jancovici en 2010, le Shift Project vise à influencer le débat sur la transition écologique. Ainsi, est sorti en 2021 le « Plan de transformation de l’économie française » avec un questionnement central : « Comment mettre l'économie française en cohérence avec une baisse des émissions planétaires, de 5 % par an, compatible avec nos engagements climatiques, tout en permettant à chacun(e) de trouver un emploi ? ». L'association est soutenue financièrement par de grandes entreprises telles que Vinci, EDF, Bouygues, BNP Paribas, Alstom ou Veolia.

Durant cette soirée de deux heures, se succèdent, dans un premier temps : Jean-Marc Jancovici, le Président du Shift, Bertrand Raquet, Président de l’INSA Lyon et du groupe INSA, Jean Jouzel, climatologue et Président du Groupe de Travail « Enseigner la transition écologique dans le supérieur ». Puis, dans un deuxième temps, le rapport final du projet est présenté.

Les enjeux sont de taille. Il s'agit de rendre les formations d’ingénieurs compatibles avec les enjeux socio-écologiques.

Ces enjeux, quels sont-ils ?

Pour le Shift, l’ensemble des élèves-ingénieurs doit être formé aux sujets suivants : les contraintes physiques (l’approvisionnement énergétique, le changement climatique, l’épuisement des ressources, l’effondrement de la biodiversité et la capacité de production alimentaire des sols) et les objectifs sociétaux (paix et justice, santé, éducation, réduction des inégalités, pour les générations présentes et futures).

La solution, proposée par le think tank, sur la base d’un projet d’évolution des formations mené avec l'ensemble du groupe INSA, est un guide en neuf étapes. Plusieurs grandes orientations ressortent de cette soirée et de ce rapport.

Tout d’abord, la nécessité d’agir dès maintenant pour transformer les formations. En effet, faire évoluer les formations prend du temps : 2 à 3 ans sont nécessaires d’après le think tank. De plus, lorsque les élèves seront formés, les transformations effectives, dans les entreprises, prendront encore quelques années supplémentaires.

l’ensemble des élèves-ingénieurs doit être formé aux contraintes physiques et aux objectifs sociétaux [..] l’objectif est la transformation globale des établissements."

Cette soirée est aussi un enjeu de légitimation. En effet, le Shift Project ne se contente pas de donner une méthode aux établissements qui veulent se transformer. Le think tank est connu et reconnu au sein du groupe des cadres et des ingénieurs. Il donne alors un appui aux différents acteurs qui souhaitent qu’une telle transformation se mette en place depuis plusieurs années dans leur établissement (que ce soient des enseignants, des étudiants, des alumnis , des directions). La présence de représentants de la CTI, CDEFI, de « Pour un Réveil Ecologique », d’une alumni, durant la soirée, assure encore un peu plus cette légitimité auprès de différentes parties prenantes des établissements.

Enfin, l’objectif est la transformation globale des établissements. L’école doit ainsi réfléchir à une stratégie permettant une action cohérente entre formation, recherche et campus sur les enjeux socio-écologiques.

Se pose tout de même la question des « formateurs » sur ces enjeux. Les enseignants-chercheurs sont en demande de formation pour se sentir légitimes à les enseigner. Les solutions proposées par le Shift semblent, à ce titre, assez limitées (des échanges de cours existants sur le sujet, des webinaires). Plus étonnant encore, le projet de mise en place d’une coopérative d’enseignants vacataires pour former sur ces enjeux. Ce projet présente un risque, sans régulation précise, de remplacer des titulaires de la fonction publique par des salariés du secteur privé dans l’enseignement supérieur, de manière durable.

Il faut tout de même saluer le travail important du Shift pour enclencher une transformation massive des formations, dans le supérieur, sur la question des enjeux socio-écologiques. La méthode proposée est assez novatrice, puisqu’elle permet d’inclure différents acteurs, souvent oubliés, de la discussion sur ces sujets, dont les élèves-ingénieurs.

Mais quelles conséquences sur le métier d’ingénieur ?

L’objectif du Shift est de former un ingénieur en combinant plusieurs « macro-compétences » dont une vision systémique englobant une approche historique et prospective et une action responsable - grâce à la raison et aux perceptions sensibles. L’idée, d’après le Shift Project, n’est pas de former un ingénieur « expert en tout » mais plutôt :

qu'il puisse adopter une posture de médiateur, d'animateur des choix techniques,

qu'il puisse faire le lien entre différents experts, dans un travail en interdisciplinarité.

Cependant, il peut être fait mention d’une limite à cette méthode : l’absence des usagers et des destinataires des choix techniques dans ce projet (les ouvriers par exemple mais aussi la société civile en général). Ce projet aurait pu être une occasion :

d'amorcer un débat sur les effets de ces choix techniques sur les personnes,

d’engager un questionnement sur la responsabilité des ingénieurs, dans la société.

Cela, à l’heure où la technique est remise en question notamment pour l'utilisation des énergies fossiles et des ressources minières, pour l'impact des algorithmes sur les comportements humains. Ce débat apparaît pourtant important, voire nécessaire, pour se questionner sur l’utilité ou le bénéfice d’une technique, au vu de ces risques environnementaux et sociaux.