Cadres des TPE ? Une réalité massive, des mondes éclatés, des repères transverses dans la crise
Du 22 mars au 4 avril 2021, les salariés de TPE voteront pour leur représentativité syndicale.
par Laurent Mahieu, secrétaire général CFDT Cadres
La crise sanitaire, sociale et économique remet sur le devant de la scène les salariés des TPE, ces petites structures comptant moins de 11 salariés, diversement impactées. L’élection professionnelle qui leur est réservée fin mars prochain invite aussi à mettre en lumière ce grand monde des petites entreprises.
Parmi les 4,5 millions des salariés des TPE, on dénombre environ 500.000 cadres, soit 1 sur 9 : un taux de cadres ou d’encadrement moins fort que dans la moyenne des autres entreprises et dont la présence est très inégalement répartie selon les secteurs, si l’on considère simplement la réalité des bureaux d’études et cabinets comptables d’un côté, et celle des boulangeries et salons de coiffure de l’autre.
Pourtant les cadres de ces multiples secteurs partagent des réalités communes (l’accès à l’APEC ou la prévoyance cadres par exemple pour les plus connues) avec les autres cadres mais aussi sont une réalité différente des autres cadres comme l’ont mis en évidence de nombreux travaux récents, notamment portés par Marina Bourgain et par l’APEC. Et la revue Cadres y consacre désormais un dossier thématique.
La dimension économique et sociale des TPE
La régression économique devrait toucher davantage les TPE dont les faillites sont plus fréquentes lors des phases de récession, notamment les entreprises sous-traitantes qui dépendent de grands donneurs d’ordre en difficultés et en deviennent une variable d’ajustement.
L’environnement organisationnel est instable et l’emploi est moins « garanti » que dans les grands groupes. Une TPE est très sensible à la conjoncture, selon les secteurs. Selon les métiers, les secteurs, le turnover serait à étudier selon cette sensibilité. Les possibilités d’évolution sont en tout cas moins importantes et conditionnées par le développement de l’entreprise et sa taille.
Il faut imaginer des pratiques pour changer l’image du syndicalisme, être utile aux salariés, justifier son intérêt pour ce qui se fait dans l’entreprise."
Si de nombreuses recherches s’intéressent aux pratiques stratégiques et managériales des TPE-PME, la plupart se concentrent sur des domaines particuliers de comportement de ces petites structures ou sur les caractéristiques de leurs propriétaires-gestionnaires. C’est ainsi qu’on étudie en général les gazelles, les licornes, les entreprises internationales dès leur création ou d’autres entreprises extraordinaires, mais finalement assez peu la très large majorité que constituent les autres entreprises plus petites.
En matière de dialogue social, les TPE balayent les registres syndicaux traditionnels. Élections, section, représentation, négociation… : rien ne s’impose. Il faut imaginer des pratiques pour changer l’image du syndicalisme, être utile aux salariés, justifier son intérêt pour ce qui se fait dans l’entreprise. Depuis quelques années, les tentatives visant à organiser la représentation collective des salariés des TPE se concrétisent sous la forme de commissions paritaires locales CPRIA et CPRI.
- CPRIA : Commission Paritaire Régionale Interprofessionnelle de l’Artisanat.
- CPRI : Commission Paritaire Régionale Interprofessionnelle.
Si ces dispositifs ont vocation à offrir aux salariés des entreprises de moins de onze salariés de nouveaux droits, ils interrogent les recompositions qui en résultent entre montée des corporatismes, représentativité dans les branches et sur les territoires.
Pour nombre de salariés des TPE l’importance des conventions collectives est cruciale : cela recouvre les minima sociaux et les grilles de classification, et bien d’autres droits négociés au niveau de la branche.
En cela, le vote aux élections TPE peut donner du poids à la négociation sociale de branche, à travers le choix de l’acteur syndical représentatif.
La qualité de vie – égalité professionnelle dans les TPE
L’équilibre entre les vies professionnelles et privées est demandé le plus souvent par les jeunes. Or, les jeunes diplômés dans les petites entreprises sont plus souvent qualifiés cadres que dans les grandes entreprises, et il y a par ailleurs un peu plus de femmes que d’hommes. Si les cadres en TPE sont plus jeunes et plus féminins, insistons sur les droits et revendications en matière de déconnexion, de paternité, de télétravail.
De même, l’enjeu d’une charge de travail équilibrée est-elle sans doute plus sensible dans les petites structures. Un environnement organisationnel plus informel, un groupe de collègues moins grand et moins diversifié, une disponibilité et polyvalence accrues, des marges de manœuvre en termes de reconnaissance moins importantes, etc. : on peut se douter que la pression du travail est plus forte en TPE.
L'ANACT est particulièrement investie dans l’accompagnement des TPE PME vers la QVT.
La relation d’emploi / relation de travail en TPE
La diversité des petites entreprises ne permet pas d’affirmations globales en matière d’emploi et de relations sociales. Reste que la pluralité d’activités et la taille les rendent particulièrement sensibles et dynamiques. Selon la taille de l'entreprise, la nature de son activité et son degré d'autonomie, les marges de manœuvre du manager varient beaucoup. Les salariés peuvent choisir la qualité du travail aux dépens du choix de leur carrière.
Le débat actuel relatif à la formation professionnelle donne la priorité aux chômeurs et aux salariés peu qualifiés. Mais certains cadres, les plus âgés et les moins diplômés, bénéficient peu de la formation continue. Une étude menée par Sextant dans le secteur des SSII montre aussi que les cadres engagés dans une activité en déclin sont laissés pour compte par la formation continue, à l’encontre de ce que devrait être une bonne GPEC (gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences). En réalité, le statut de cadre n’est pas un rempart contre la déqualification professionnelle.
La réforme de la formation professionnelle a cependant réorienté vers les salariés des entreprises de moins de 50 salariés les fonds mutualisés. Il y a une responsabilité des OPCO (Opérateurs de Compétences) et des employeurs à faire connaitre et saisir ces possibilités de financement.
La construction de sa compétence en TPE
Travailler en TPE, un atout pour développer son autonomie, explorer, avoir un droit à l’erreur… Mais les compétences sont-elles transférables ? La compétence est à la fois ce que l’entreprise attend des hommes au travail et l’ensemble des savoirs des salariés. Le manager de proximité articule cette tension entre l’exigence de conformation et le pouvoir d’agir des salariés. Les TPE sont des environnements « capacitants » qui favorisent l’expression d’une liberté au travail. En creux, on peut percevoir cependant le risque de la polyvalence et des multi-compétences versus l’expertise et l’autonomie de carrière.
Le début de parcours est plus fragmenté dans les TPE-PME, sans doute plus riche ou enrichissant. A contrario, ce parcours interne de pose la question de la qualité de l’accompagnement-évaluation et celle la réalité du Conseil en Evolution Professionnelle (CEP) ; ceci qui rejoint la question de « l’accès aux droits » pour les cadres des TPE.
En cela, l’APEC est particulièrement investie auprès des TPE PME (depuis la réforme de 2011 portée par la CFDT Cadres) et ses services sont pour la plupart accessibles à distance, tant pour le conseil aux cadres (CEP) que pour les recrutements (85 % des services APEC aux entreprises concernent les entreprises de moins de 250 salariés).
Enfin, les jeunes diplômés sont nombreux à entreprendre leur début de vie professionnelle dans l’univers des TPE-PME : les services APEC aux jeunes diplômés peuvent faciliter cette orientation (#Objectif1erEmploi).
Les points clés de l'étude Apec 2020 cadres en PME (apec.fr)
depuis corporate.apec.fr
- Les cadres travaillant en PME sont nombreux et présentent un profil spécifique
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- La moitié des cadres sont en emploi dans une PME.
- Si le diplôme n’y est pas la garantie du statut de cadre, les PME n’hésitent pas à confier une responsabilité d’équipe à leurs jeunes recrues.
- La part des diplômé·e·s de niveau inférieur à Bac +5, celle des femmes cadres et celle des jeunes cadres résidant hors d’Île-de-France sont nettement supérieures à celles observées dans les grandes entreprises.
- Les cadres des PME portent un regard positif sur le management de leurs structures
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- Ils mettent principalement en avant le rapport particulier aux individus (reconnaissance, autonomie, confiance, etc.), la souplesse et le dynamisme du fonctionnement interne.
- Ils portent sur les grandes entreprises un regard critique pour leur dimension bureaucratique et rigide.
- Ils s’investissent particulièrement dans la représentation du personnel.
- Le regard qu’ils portent sur leur parcours est diversifié en fonction de leur formation
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- Chez les moins diplômé·e·s, le « dépassement de soi » est particulièrement évoqué.
- Ingénieur·e·s et docteur·e·s mettent en avant leur développement professionnel autonome.
- Les autres diplômé·e·s évoquent les stratégies développées pour parvenir au statut de cadre.
- Plusieurs profils se distinguent selon leur attitude par rapport à la mobilité
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- La majorité ne la recherche pas et optent pour la stabilité, en dehors d’évolutions en interne.
- D’autres la pratiquent de façon calculée pour parvenir à leurs objectifs.
- D’autres, enfin, s’avèrent hyper-mobiles, soit d’une PME à une autre, soit selon un parcours en grandes entreprises qui a fini par se stabiliser en PME.
+ d'infos
Le management des cadres en PME est-il spécifique ? (xerficanal.com)
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