7 propositions pour le dialogue social
A la lumière de l'expérience suédoise, Jean-Paul Bouchet livre des propositions concrêtes
Une étude de La Fabrique de l’Industrie sur le modèle suédois a le mérite de relever les facteurs structurels de sa réussite. Il y a un fort consensus sur plusieurs points d’ancrage en Suède, cette persistance nous autorisant à parler de modèle. J’en relève ici sept, accompagnés des propositions qu’ils m’inspirent.
- La recherche permanente d’efficacité de la part des acteurs, c’est-à-dire d’un plus pour le bénéficiaire final. Ce pragmatisme prime sur la posture, sur le jeu de rôle que l’on voit parfois en France. Au cours de la négociation de l’accord du 11 janvier 2013, pour la CFDT, le bénéfice pour le salarié a toujours été un critère déterminant. Toute négociation, quel qu’en soit son niveau, devrait d’abord identifier explicitement le ou les bénéficiaires finaux et le plus attendu pour ces derniers dans la négociation.
- La prise en compte du temps long et son corollaire, l’anticipation, comme le montre la négociation sur les retraites en Suède, qui aura mis 15 ans au total pour déboucher sur un accord. Intégrer le temps long à la réflexion politique et économique suppose une confiance réciproque et une capacité collective à s’adapter aux changements multiformes. Toute décision importante devrait intégrer le paramètre des externalités pour les générations futures, tout comme les évaluations devraient intégrer le coût de l’immobilisme pour responsabiliser négociateurs et décideurs.
- Une pensée partagée de la compétitivité hors-coût misant sur le haut-de-gamme, l’innovation, la redistribution de la valeur ajoutée vers l’entreprise et la stabilité du capital, et se traduisant par un excellent maintien de la balance commerciale suédoise. Les modalités de ces innovations (formation continue, investissement en R&D avec soutien des politiques publiques…) portent la marque d’un dialogue social force de propositions et moteur de compétitivité, légitime pour intervenir également en matière de redistribution de la valeur ajoutée ou de stratégie d’entreprise. Les critères de redistribution de la valeur ajoutée devraient faire l’objet d’une négociation avec les représentants des salariés.
- L’ouverture au monde, matérialisée par une forte orientation à l’export, témoignant d’un haut niveau de confiance en l’avenir et dans la capacité à peser collectivement sur cet avenir. Les Suédois détestent les conflits. Ils sont prêts à payer un impôt fort car ils ont confiance en l’Etat et dans la qualité de l’aide qu’il leur apporte. Cette confiance ne survient pas d’un claquement de doigt : c’est un apprentissage dans la durée, qui suppose des signes positifs et des jalons. Cessons de raisonner en termes de monopoles et de sortir des postures qui l’emportent sur la qualité du résultat : les employeurs n’ont pas le monopole du terrain économique, pas plus que les organisations syndicales n’ont celui du social ni les écologistes celui de l’environnemental.
- Une certaine éthique de la responsabilité, qui incite à l’exemplarité et à la coopération. Elle explique également le souci permanent d’équité, les faibles écarts dans la hiérarchie des salaires, la flat hierarchy, la tempérance des managers pour qui la responsabilité exercée est plus importante que le rang occupé dans la hiérarchie. Ma cinquième proposition est donc de faire entrer dans le jeu du dialogue social les conditions d’exercice de la responsabilité des managers.
- Le rôle des organisations syndicales, combinant revendications, négociations collectives, services professionnels et appui aux salariés, y compris en direction des managers. Les organisations syndicales sont moins nombreuses qu’en France et leur structuration par catégorie limite la concurrence, sans pour autant conduire à un cloisonnement entre elles. Je l’ai constaté sur un site industriel suédois en forte restructuration. Il faut poursuivre cette dynamique, renforcer le syndicalisme de services professionnels, l’appui professionnel aux salariés, y compris aux managers.
- La forte prégnance du syndicalisme parmi les managers, les cadres, les personnels qualifiés. Cela représente une forte différence entre nos deux pays : le syndicalisme ne reflète pas encore totalement en France, comme en Suède, la diversité du salariat. La rencontre avec les managers reste encore largement à organiser. Ma septième proposition est donc de mieux articuler dialogue professionnel et dialogue social, en s’appuyant sur les managers de proximités, ce qui suppose de leur apporter un appui professionnel (source : La Fabrique de l'Industrie, 12/07/2013).