Le cadre, miroir grossissant du travail et du capitalisme
Acteurs de la coopération, les cadres font face à un travail et des organisations toujours plus complexes.
Les cadres d’aujourd’hui sont pour beaucoup des producteurs de l’économie de la connaissance et non des organisateurs du travail des autres, et découvrent ainsi des situations qui les rapprochent des autres salariés : travail prescrit, exploitation, délocalisation de leur activité… Pour autant, leur travail impacte celui des autres, par exemple quand un cadre fonctionnel produit des règles que d’autres salariés appliqueront.
Le terme de cadre ou de manager ne peut plus s’appliquer à ceux qui entrent dans l’univers des stock options et des retraites chapeau. Ils sont passés du côté des dirigeants. Participer à la direction collective d’une entreprise, ce n’est pas participer au management, car le propre du management, c’est de conduire une organisation. Et conduire une organisation, c’est la conduire à tous les niveaux, la conduire près du terrain, la conduire même dans les fonctions modestes. Le paradoxe aujourd’hui est que l’on enseigne peut-être à être dirigeant – celui qui surplombe la réalité – mais pas à être manager – celui qui organise la coopération et le travail.
La catégorie des cadres, du fait de son expansion numérique, s’est beaucoup diversifiée... le cadre, d’un certain point de vue, est le miroir grossissant du travail et du nouveau capitalisme d’innovation, avec toutes ses contradictions et ses problèmes (Pierre Rosanvallon). Dans la communauté de travail dont la raison d’être était de produire ou de rendre un service se créaient des identités professionnelles fortes. Aujourd’hui, l’objet principal étant la rentabilité financière ou, dans la fonction publique, le coût du service, il s’opère une transformation du sens et de l’objet du travail qui génère un vrai problème d’identité professionnelle et d’appartenance à des collectifs.
Faire apparaître le sens, en termes de management, c’est aussi manager les temps : le temps court de l’urgence, et les temps plus longs de la déclinaison de la stratégie et de l’organisation. C’est aussi se concentrer sur le cours des choses dans lesquelles on est engagé pour en dégager la cohérence et permettre aux intelligences de s’exprimer. Il y a un malaise des cadres lié aux transformations de l’organisation du travail (Thierry Pech). Révolution technologique et révolution du pouvoir dans l’entreprise se sont combinées pour produire cette situation. On trouve les indicateurs de performance appliqués à toutes sortes de situations, traduisant une crise de confiance dans les coopérations. Jamais la division du travail n’a été aussi sophistiquée et la confiance aussi faible dans les coopérations que nécessite justement cette division du travail. On est ainsi passé d’un capitalisme d’organisation– avec des normes, des règles, des prescriptions qui organisent le travail – à un capitalisme d’innovation, dans lequel il est important de mobiliser la capacité de s’adapter, parce que le monde n’est pas stable et bouge en permanence. On court le risque de s’enfermer dans un système d’urgence permanente difficile à manager.
Pour la CFDT, il faut que la relation management-organisation du travail puisse être ''parlée'' dans les différents lieux de travail. Il faut des lieux de parole sans que ce soit nécessairement l’organisation syndicale qui les organise. Il s’agit d’instituer un véritable dialogue professionnel, au plus près des salariés et des managers de proximité. En fonction de ce qui s’y dit, le rôle de l’organisation syndicale est de se faire porte-parole et d’en tenir compte dans sa propre démarche. Les managers doivent donner aux salariés l’autonomie, les moyens et les outils pour agir, ce qui nécessite qu’ils soient en proximité avec le métier et le travail. Ils doivent faire en sorte qu’un service de qualité soit rendu au client et que simultanément les salariés de première ligne soient à l’aise dans leur activité. Il faut rechercher le bon équilibre entre la satisfaction des salariés, celle du client et la performance opérationnelle.
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