Le travail sous influence des technologies numériques
Un flux qui peut amener au syndrome de débordement cognitif, de ne plus pouvoir faire face et une peur d’oublier.
Emails, intranet, réseaux sociaux et bien d’autres sources d’informations nous inondent : c’est l’infobésité. En moyenne, avec le fractionnement du travail dû aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), un cadre est interrompu toutes les 4 minutes. Les jeunes générations, qui ont grandi à l’ère numérique (les digital native), gèrent mieux ce phénomène de dispersion. L’usage des TIC que, par ailleurs aucun cadre ne veut lâcher, peut engendrer des difficultés. Le cadre partage son temps, sa concentration entre une activité principale et des activités annexes ce qui d’après les chercheurs augmente la charge cognitive. Ils appellent cette multi-activité : le méta-travail. Les TIC ont transformé notre manière de travailler ; au lieu de prendre une tâche et de l’amener jusqu’au bout, on avance une multitude de tâches en parallèle, en zappant de l’une à l’autre. Chacun de ces projets ayant des temporalités différentes. Cela peut affecter la santé, pose la question de notre efficacité au travail et pour la CFDT Cadres du droit et devoir de déconnexion.
La technologie doit nous délester des tâches pénibles
Tout n’est pourtant pas négatif. Les TIC ont considérablement augmenté notre productivité. Il est extrêmement simple aujourd’hui d’organiser une réunion grâce à l’agenda électronique, de prendre des notes pendant la réunion directement sur son ordinateur portable ou sa tablette et d’en diffuser le compte rendu. Mais en même temps, la contrepartie de ces gains d’efficacité est sans aucun doute l’intensification du travail, l’augmentation des contrôles (par les outils et le reporting) et des contraintes sur le temps (obligation d’hyper disponibilité avec l’agenda partagé, la messagerie instantanée indique le temps d’activité ou d’inactivité...).
La messagerie en est le meilleur exemple. Le mail est un outil indispensable pour les cadres. Mais l’étude montre que ces derniers traitent en moyenne 100 emails par jours et consacre 2 à 3 heures par jours à leur traitement. Ce flux de travail peut amener au syndrome de débordement cognitif : le sentiment de ne plus pouvoir faire face, de ne pouvoir traiter, la peur d’oublier quelque chose (ce que les anglo-saxons appellent le FOMO : Fear Of Missing Out). La technologie doit nous délester des tâches pénibles ou répétitives et doit d’après les chercheurs remplir 3 conditions : être utile (aux besoins des usagers), utilisable (convivialité, simplicité) et acceptée (contexte professionnel ou culturel). Quand une technologie déroge à ces règles, elle devient une charge, et un risque pour la qualité du travail et la santé du salarié.
Les chercheurs ont ainsi identifié 3 grands rôles de technologie :
- les technologies supplétives qui laissent toutes libertés à l’individu (comme l’email),
- les technologies substitutives qui remplacent les individus par des machines (outil pour prise de congé, réservation de billets en lignes, ordre de bourse automatiques, …),
- les technologies prescriptives, qui encadrent et contrôle le travail (ERP, workflow, e-learning) et laissent peu de place aux innovations, et au droit à l’erreur. Les marges de manœuvre sont limitées, la technologie dicte le travail et il faut suivre un processus prédéterminé. C’est l’homme qui doit adapter son rythme de travail et le contenu du travail à la machine.
Le CHSCT et le comité d’entreprise doivent être consultés dans les décisions et les choix des nouveaux outils informatique. Ils ont une incidence directe sur le travail et la santé des salariés. Il faut aussi prendre garde aux évolutions de logiciels présentés comme mineures qui parfois modifient profondément la manière de travailler. Mais au-delà, nous devons négocier ce sujet au plus proche du terrain car les syndicats ont un véritable rôle à jouer dans la régulation collective. Nous pouvons apporter notre support aux équipes. Nous devons systématiquement incorporer les TIC dans les différents sujets : accord sur le temps et charge de travail, télétravail, égalité professionnelle et négocier sur les temps et lieux de connexion, l’utilisation de la messagerie…
Dans le cadre d’un projet européen d’Eurocadres initié par les organisations syndicales françaises, une formation sur l’impact et l’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) sur le travail des cadres s’est déroulé à Paris les 10 et 11 février 2014. Ce projet d’Eurocadres est réalisé avec le support d’une équipe de chercheurs du Groupe de Recherche en Psychologie Sociale de l’université Lyon 2 sous la direction de Marc Eric Bobillier Chaumon, qui travaille depuis plusieurs années sur ces questions et a publié sur ce sujet, notamment une étude Apec. Cette formation regroupait en France des militants syndicaux de différentes organisations françaises membres d’Eurocadres, dans une démarche intersyndicale, sur un sujet qui concerne fortement les cadres. Elle impliquera au cours du semestre 7 autres pays européens. Un guide de négociation et de bonnes pratiques en sera issu d’ici fin novembre 2014. Vous pouvez contribuer aux travaux qui serviront à l’écriture du guide en répondant au questionnaire en ligne.