‘’On est confronté à un risque de destruction de l’entreprise’’
Un entretien avec Olivier Favereau et Armand Hatchuel sur la ‘’grande déformation’’.
De multiples études confirment que, depuis le tournant des années 80-90, la financiarisation des modes de gouvernance, d’évaluation, et de gestion, dans les grandes entreprises, structurées autour de sociétés cotées, a freiné les tendances managérialistes, participatives et modernisatrices des années 60-70, contribuant à une explosion des inégalités, à une défiance sans précédent vis-à-vis de l’entreprise et, pour finir, à la crise économique la plus grave depuis 1929.
La « grande déformation » de l’entreprise a eu des répercussions immenses sur le management. Ce mouvement a engendré une tendance à l’individualisation des salaires et une décomposition de l’entreprise, alors que l’efficacité vient essentiellement de la coopération. Plus globalement, il a occulté la relation manager-salarié au profit de la relation actionnaire-manager. Mais cette déformation ne s’explique, ni se justifie en droit. Il faut donc inventer aujourd’hui une nouvelle forme politique et juridique pour faire fonctionner l’entreprise.
Ce risque de destruction est intimement lié au présupposé sur la notion de propriété, consacré académiquement par deux théories économiques : la théorie de la « valeur actionnariale », qui semble justifier totalement que l’entreprise soit la « chose » des actionnaires, dont ils peuvent disposer, à leur gré, au nom du principe sacré de la propriété privée. Et la « théorie de l’agence », qui fait des managers les agents des actionnaires.
Alors qu’à la fin du 19ème siècle, le management avait pris son autonomie par rapport au capital, à partir des années 70 le management va se trouver happé par le capital et se détacher progressivement du travail, revenant ainsi sur le compromis fordiste, lui-même fondé intellectuellement sur l’analyse de Keynes. La pensée dominante était de dire que si les propriétaires de capitaux se mêlaient de la gestion des entreprises, ce serait la catastrophe, comme l’expose Henri Fayol dans son oeuvre. La « grande déformation » de l’entreprise a donc bien eu de grandes répercussions sur le management. Elle a entrainé une tendance à l’individualisation des salaires et une décomposition de l’entreprise qui permettait d’identifier la contribution de chacun au profit. Or, l’efficacité vient essentiellement de la coopération. La « grande déformation » a donc engendré une perte du sens du travail. Elle a conduit à une balkanisation de l’entreprise.
Quelles réformes pourrait-on envisager pour le management ? Il faut préalablement redéfinir les rapports entre les actionnaires et l’entreprise. Le manager pourrait alors retrouver sa place entière à l’intérieur de l’entreprise, les rapports entre les actionnaires et l’entreprise étant préalablement redéfinis. Plusieurs mesures concrètes pourraient être adoptées. Un titre liquide ne devrait pas donner les mêmes droits qu’un titre qui engage les actionnaires sur plusieurs années. Il faudrait aussi exercer un contrôle social sur les stocks options et rendre effective la lutte contre les paradis fiscaux.
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